Jacques Arthur MBII, apôtre de l’engagement citoyen !

Jacques Arthur MBII-engagement citoyen (1)

Dans cet entretien, il revient sur la genèse du FEJEM, la crise de confiance politique chez les jeunes et la nécessité, selon lui, de replacer le service au cœur du pouvoir

À 32 ans, Jacques Arthur MBII fait partie de ces jeunes Camerounais convaincus que le changement ne viendra pas d’en haut, mais du terrain. Stratège en communication pour le développement et auteur, il a fondé le Forum d’Engagement des Jeunes du Monde (FEJEM), une organisation qui milite pour une jeunesse actrice de la transformation sociale, politique et économique du continent.

Bonjour Jacques Arthur. Une petite présentation ?

Bonjour, je suis Jacques Arthur MBII, citoyen camerounais de 32 ans, stratège en communication pour le développement, auteur et passionné par les dynamiques sociales et politiques en Afrique.

Mais au-delà du parcours académique, je me définis d’abord comme un citoyen au service du collectif. Je crois que la véritable réussite, c’est celle qui se partage, celle qui élève les autres avec soi.

En 2023, vous avez fondé le FEJEM. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer cette association, et quelle mission porte-t-elle concrètement ?

Le FEJEM est né dans une communauté, précisément la communauté Mpoo qui regroupe tous les descendants de l’ancêtre MBANG NGUE. Cette grande communauté est aussi connue sous l’appellation Bakoko.

À l’origine, c’était une initiative locale, un cadre que j’ai voulu créer pour rassembler les jeunes de ma communauté autour d’un idéal commun : participer au développement local.

Avec des compagnons de la première heure, nous voulions nous prendre en main, trouver des solutions concrètes à nos propres problèmes, sans attendre la structure organisationnelle communautaire.

Mais très vite, les idées ont dépassé le cadre. Les échanges, les rencontres et la force du collectif ont fait émerger une conviction plus large : ce que nous faisions à petite échelle pouvait inspirer d’autres jeunes ailleurs.

C’est ainsi qu’est né le Forum d’Engagement des Jeunes du Monde (FEJEM), une organisation désormais ouverte, inclusive et panafricaine, portée par une ambition claire : transformer la jeunesse en force de gouvernance, d’innovation et de changement social.



” L’un des projets les plus structurants pour 2026, c’est EWO Africa : un programme de réappropriation de nos valeurs endogènes africaines



Le FEJEM agit aujourd’hui comme un mouvement d’éducation civique et d’action collective. Nous formons, nous outillons et nous connectons les jeunes pour qu’ils deviennent non seulement des entrepreneurs, mais aussi des acteurs de la transformation citoyenne.

Quelles sont les actions phares que vous avez menées jusqu’ici, et quelle est l’actualité de l’association aujourd’hui ?

Depuis sa création, le FEJEM travaille comme un laboratoire d’innovation citoyenne. Nous avons mené des actions qui traduisent notre conviction : changer la société commence toujours par éveiller les consciences.

Parmi les plus marquantes, je citerais d’abord la campagne GREENWALK, organisée autour de la Journée mondiale de l’Environnement. Une marche écologique qui a mobilisé des centaines de jeunes à Douala autour d’un objectif clair : lutter contre la pollution plastique et sensibiliser sur la responsabilité citoyenne face à nos déchets.

Ensuite, il y a MUNJA, notre programme de formation et d’accompagnement pour l’autonomisation économique des jeunes femmes. À travers ce projet, nous leur apprenons à transformer leurs idées en entreprises viables, en leur offrant du mentorat, du microcrédit et un cadre d’émulation. C’est une école de leadership, mais aussi un levier d’indépendance.

Nous avons aussi initié ECLORE, un webinaire panafricain dédié à la transformation des talents en entreprises durables. Ce programme a permis de tisser des passerelles entre le Cameroun, le Sénégal, le Congo, et le Ghana, grâce à un partenariat avec Eduvision et plusieurs réseaux de femmes africaines en STEM.



L’objectif, c’est de faire du FEJEM un centre de réflexion et d’action citoyenne à la fois ancré dans le Cameroun et connecté à la jeunesse du monde


Mais l’un des projets les plus structurants pour 2026, c’est EWO Africa. Un programme de réappropriation de nos valeurs endogènes africaines pour construire un nouveau modèle de gouvernance inspiré de nos propres civilisations.

Nous partons d’un principe simple : tant que nous ne comprendrons pas d’où nous venons, nous ne saurons pas où aller. EWO Africa veut démontrer que nos traditions (la palabre, la fraternité, la chefferie participative, le respect du sacré) ne sont pas des archaïsmes, mais des fondations politiques modernes. C’est notre manière de dire que l’Afrique n’a pas besoin de copier pour progresser, elle doit se redéfinir à partir de ce qu’elle est.

Donc en ce moment, nous travaillons à la mise en réseau de jeunes acteurs communautaires dans plusieurs régions du Cameroun, pour expérimenter localement ces formes de gouvernance participative inspirées de ce modèle.

L’objectif, c’est de faire du FEJEM un centre de réflexion et d’action citoyenne à la fois ancré dans le Cameroun et connecté à la jeunesse du monde.

Entretien avec Jacques Arthur Mbii, jeune entrepreneur, promoteur du FEJEM, qui oeuvre pour l'engagement citoyen
Il y’a quelques mois, vous avez publié un nouveau livre : « pour le Cameroun, une jeunesse debout ». Qu’est-ce qui a inspiré la sortie de ce livre et quel message avez-vous voulu partager avec la communauté ?

Ce livre est effectivement mon deuxième ouvrage. Le premier, PĒE – Regard épistémologique sur une tradition millénaire, est un essai consacré à la tradition du peuple Mpoo, dont je suis originaire.

J’y explore la dimension spirituelle, philosophique et symbolique de cette tradition, en la replaçant dans une perspective universelle. Ce travail m’a profondément marqué, car il m’a appris une chose, qu’on ne bâtit rien de durable sans connaître ses racines.

De là est née l’envie d’écrire Pour le Cameroun, une jeunesse debout. Un cri face à la résignation, face à cette fatigue nationale qui s’installe dans les cœurs. Et une boussole, parce qu’il fallait redonner un cap à une génération qui a grandi entre la nostalgie d’un passé qu’elle n’a pas vécu et la peur d’un avenir qu’elle ne maîtrise pas.

J’ai voulu y poser une question simple mais essentielle : que voulons-nous faire du Cameroun ? Nous parlons souvent du pays comme d’un héritage, moi j’y vois une mission. Et j’ai voulu dire à ma génération : notre tour n’est pas à venir, il est arrivé. Mais il faut reconnaître le moment juste.

Le livre est aussi une proposition politique au sens noble du terme. J’y développe le concept de la Rosace inspiré du président de la république actuelle, une vision de refondation nationale fondée sur neuf piliers de transformation : éducation, gouvernance, économie, culture, environnement, spiritualité, innovation, justice sociale et citoyenneté.

Ce modèle part de l’idée selon laquelle le développement se construit autour de l’humain, du local et du sens.


Au Cameroun, on vient de sortir d’une élection présidentielle marquée par un faible taux de participation, notamment chez les jeunes. Comment analysez-vous ce désintérêt pour la chose publique ? Est-ce de la lassitude, du désenchantement ?

Quand une jeunesse cesse de croire à la démocratie, elle finit par chercher d’autres chemins parfois dangereux, parfois désespérés. Lors de la présidentielle de 2025, les jeunes représentaient à peine 40 % de l’électorat, alors qu’ils constituent plus de 60 % de la population camerounaise. 

Ce décalage en dit long : la majorité démographique n’est pas la majorité politique. Ce n’est pas de la paresse civique, c’est une fatigue morale. Une lassitude née d’un système où le vote semble n’avoir aucun poids réel sur le cours des choses.

Mais attention : ce retrait n’est pas une capitulation. Il traduit une attente d’un autre rapport au pouvoir — plus sincère, plus équitable, plus crédible. Ce que la jeunesse rejette, ce n’est pas la politique en soi, c’est la politique sans projet, sans éthique, sans horizon.

Nous vivons donc une crise de génération, et c’est là tout le danger. Le vrai enjeu aujourd’hui, ce n’est pas de la convaincre de voter, mais de lui prouver que sa voix compte. Et ça, ce n’est pas le rôle d’une campagne électorale, c’est celui d’un pays tout entier.

Comment réenchanter la jeunesse, lui redonner envie de s’impliquer, de croire qu’elle peut encore peser dans la balance, dans un pays où tout semble figé et verrouillé ?

Il faut d’abord dire la vérité : on ne réenchante pas une jeunesse qu’on a déçue par des slogans. On la réenchante par des preuves. La jeunesse camerounaise a perdu confiance. Elle a grandi en entendant des promesses qu’aucun pouvoir n’a tenues, et en voyant des efforts souvent trahis.

Alors pour rallumer la flamme, il faut commencer par restaurer la crédibilité de la parole publique. Quand un État dit quelque chose, il doit le faire. Quand une institution promet, elle doit rendre compte.

Ensuite, il faut redonner de la place à la jeunesse dans la décision, pas dans la figuration. Je parle de sièges réels dans les conseils municipaux, parmi les députés, des programmes cogérés par les jeunes eux-mêmes. On ne peut pas vouloir d’une jeunesse responsable si on ne lui confie jamais de responsabilités.

Et enfin, il faut réhabiliter l’espérance par l’exemple. Un jeune ne croit pas parce qu’on lui dit d’y croire. Il croit quand il voit quelqu’un qui lui ressemble réussir sans tricher.

Quand il comprend que l’intégrité n’est pas une faiblesse, mais une force. C’est pour cela que j’insiste tant sur la question morale car il ne s’agit pas seulement de former des leaders, il faut former des consciences.



Réenchanter la jeunesse, c’est la regarder dans les yeux et lui dire : le pays que tu attends ne viendra pas d’en haut, il sortira de toi


À vos yeux, que faudrait-il changer — en priorité — pour bâtir une gouvernance plus transparente, plus inclusive et plus efficace au Cameroun ?

La priorité, c’est de changer la manière dont on exerce le pouvoir. Depuis trop longtemps, le pouvoir est perçu comme un privilège, une propriété, presque une récompense.

Or, gouverner, c’est servir. Et tant qu’on ne replacera pas le service au centre du pouvoir, la transparence restera un mot creux.

Il faudrait donc une révolution morale avant une réforme institutionnelle. Nous avons des textes, des plans, des stratégies. Ce qui manque, c’est la sincérité dans leur mise en œuvre.

Ensuite, il faut ouvrir le système. Ouvrir la gouvernance aux jeunes, aux femmes, aux territoires. Donner aux communes de vraies marges d’action, permettre aux citoyens de suivre les budgets, d’interpeller leurs élus, d’exiger des comptes. Une République n’appartient à personne : elle doit être respirable.

Et puis, il faut décoloniser nos réflexes politiques. On ne bâtira pas un État moderne avec une mentalité féodale.

Vous êtes souvent sur le terrain, au contact des jeunes. Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans leur manière de penser ou d’aborder les enjeux du pays ? Et surtout, qu’est-ce qui vous donne encore espoir ?

Ce qui me frappe d’abord, c’est leur lucidité. Les Camerounais ne sont pas dupes. Ils ne l’ont même jamais été. Ils savent que le système est à bout de souffle. Beaucoup d’entre eux n’attendent plus rien de l’État, et c’est à la fois inquiétant et porteur d’espérance.

Inquiétant, parce que la confiance dans les institutions s’érode. Mais porteur d’espoir, parce que cette désillusion les pousse à inventer d’autres chemins.

Ils créent des entreprises, des associations, des collectifs citoyens. Ils expérimentent, ils apprennent seuls, ils s’entraident. Et dans ce désordre apparent, il y a une énergie incroyable.


” Si la jeunesse prend réellement toute sa place, alors le Cameroun changera de visage


Ce qui me donne espoir, c’est qu’au milieu de tout cela, je vois une génération qui n’a plus peur. Peur de parler, peur de rêver, peur d’échouer. Une jeunesse qui n’a peut-être pas encore les moyens, mais elle a la clarté et la vision. Et vous savez, l’histoire finit toujours par donner raison à ceux qui voient plus loin que leur époque. C’est cette jeunesse-là, exigeante, lucide, parfois rebelle qui finira par remettre le pays sur ses rails.


Lire aussi : « Nous voulons faire de la pauvreté énergétique, une histoire ancienne en Afrique » Clovis Sonnang NDONGLA


Comment voyez-vous l’avenir du Cameroun si la jeunesse parvient à prendre toute sa place dans la gouvernance et le développement ?

Si la jeunesse prend réellement toute sa place, alors le Cameroun changera de visage. Je ne parle pas d’un simple rajeunissement des visages dans les institutions — ça, c’est cosmétique. Je parle d’une transformation de fond, celle des pratiques et du rapport au pouvoir.

Quand la jeunesse entre dans la gouvernance, elle y apporte trois choses que les vieilles élites ont souvent perdues : la sincérité, la vitesse et le courage d’essayer. Si cette génération parvient à se mettre d’accord sur l’essentiel à savoir l’intérêt collectif avant les appartenances, la compétence avant les titres, la dignité avant les privilèges, alors tout redeviendra possible.

Nous aurons des territoires mieux gérés, une économie plus créative, une administration plus humaine, et surtout une politique reconnectée à la vie réelle. Je crois profondément que ce pays a un rendez-vous avec sa jeunesse. Et le jour où cette rencontre aura lieu, le Cameroun ne sera plus seulement un pays, mais une promesse tenue.

Quand on mène un combat aussi exigeant que le vôtre, il y a forcément des moments de doute. Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour les cinq prochaines années ?

Vous savez, on a souvent tendance à croire que ceux qui s’engagent ne doutent jamais. C’est faux. Moi, je doute. Souvent. J’ai mes moments de faiblesse, de lassitude, parfois même de colère. Parce que porter une cause, c’est aussi en être blessé. C’est accepter de recevoir les coups, les trahisons, les déceptions, sans perdre la foi dans ce qu’on fait.

Je ne suis pas un saint et je ne crois pas qu’on puisse le devenir de son vivant. La vie n’est pas une ligne droite. Il y a des jours où l’on avance avec courage, et d’autres où l’on se relève simplement pour ne pas tomber. Mais ce qui m’anime, c’est cette conviction têtue que le Cameroun mérite mieux.

Alors, si vous voulez me souhaiter quelque chose pour les cinq prochaines années, souhaitez-moi de garder la flamme sans me brûler, de rester fidèle à l’essentiel même quand tout vacille et d’avoir autour de moi assez d’hommes et de femmes debout pour continuer à croire, même quand c’est difficile.

Parce qu’au fond, ce qui sauve un homme, ce n’est pas la perfection. C’est la constance dans l’imperfection.

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