Chaque année, mars sonne comme une célébration de l’égalité femmes-hommes. Tribunes engagées, discours enflammés, événements exclusivement féminins, appels à la sororité, initiatives en entreprise … L’agenda se remplit de promesses de changement. Mais une fois l’effervescence retombée, la dynamique s’essouffle, laissant place à une réalité plus contrastée.
Si les efforts en faveur des femmes se multiplient, demeure souvent en suspens : quel rôle les hommes doivent-ils jouer dans l’émancipation féminine ? Ont-ils leur place dans ce combat ? Comment passer d’un soutien symbolique à une implication réelle et durable, notamment dans un contexte africain où les rôles traditionnels sont encore profondément ancrés ?
Et si, paradoxalement, l’émancipation féminine venait bousculer certains avantages que le patriarcat a historiquement accordés aux femmes ? L’égalité totale suppose-t-elle des renoncements ? Pour explorer ces questions, nous avons échangé avec Chrys Mabiala, promoteur du cabinet Mabiala & Partners, récemment invité par une multinationale pour aborder cette thématique brûlante.
Bonjour Chrys. Chaque mois de mars, l’égalité femmes-hommes devient un sujet central, mais dès avril, l’attention retombe. Pourquoi cette cause semble-t-elle saisonnière et comment s’assurer que les engagements pris ne s’évanouissent pas avec le temps ?
C’est un problème récurrent : chaque 8 mars, on multiplie les débats, les campagnes et les engagements, puis tout retombe. Pourquoi ? Parce que dans beaucoup d’organisations et même dans la société, l’égalité est encore perçue comme une « cause » plutôt qu’un impératif structurel.
L’égalité ne doit pas être un événement, mais une transformation en profondeur. C’est comme si une entreprise décidait de ne parler de performance économique qu’une fois par an : c’est absurde. Pour ancrer cette dynamique sur le long terme, il faut que cela se traduise par des politiques concrètes, mesurables et évaluées régulièrement.
Ce que je propose, c’est un suivi clair des engagements pris. Chaque entreprise, chaque institution qui affiche de grandes promesses en mars devrait être tenue de publier des bilans réguliers sur ses avancées en matière d’égalité. Ce n’est qu’en instaurant une vraie culture du résultat que nous pourrons éviter l’effet ‘’feu de paille’’.

Lire aussi : Anne Patrice NYEMECK : « réussir dans la logistique nécessite à la fois du talent et de l’endurance »
Les hommes ont-ils un rôle à jouer pour maintenir cette dynamique tout au long de l’année ?
Les hommes ont un rôle essentiel. Et ce rôle n’est pas d’être de simples ‘’soutiens’’ ou des spectateurs bienveillants, mais des acteurs du changement. Trop souvent, on entend : ‘Je suis pour l’égalité, mais…’. Il faut que cette posture passive disparaisse.
Voici trois actions concrètes que chaque homme peut adopter :
- Remettre en question ses propres biais : L’égalité commence dans notre propre façon de voir les choses. Demandons-nous honnêtement : favorisons-nous les hommes inconsciemment dans nos décisions professionnelles ? Acceptons-nous qu’une femme puisse être aussi compétente, voire plus, qu’un homme dans n’importe quel domaine ?
- Utiliser son influence pour ouvrir des portes aux femmes : Un homme qui occupe une position de pouvoir peut agir directement. Cela passe par le recrutement, la promotion des talents féminins, et la mise en place de politiques internes favorisant l’équité.
- Assumer sa part de responsabilités domestiques : Trop souvent, on entend encore dire qu’un homme ‘aide’ sa femme à la maison. Mais non ! Il ne s’agit pas d’aide, mais de partage des responsabilités. Une femme ne devrait pas avoir à choisir entre sa carrière et sa famille plus qu’un homme ne le fait.
”
Les femmes n’ont pas besoin qu’on les sauve, elles ont besoin qu’on arrête de leur mettre des barrières
En Afrique, où la tradition place l’homme comme chef de famille, comment peut-on redéfinir ce rôle pour inclure une véritable collaboration avec la femme ? Est-il possible de concilier évolution des mentalités et respect de la culture ?
Le concept de ‘’chef de famille’’ a longtemps été interprété comme une position de domination. Mais être chef, c’est avant tout protéger, guider, et assurer l’épanouissement de tous les membres du foyer. Et comment peut-on le faire efficacement si l’on exclut la femme de la prise de décision ?
Dans notre culture africaine, la famille a toujours fonctionné comme un collectif. L’homme ne peut pas tout gérer seul, et historiquement, les femmes ont toujours eu un rôle clé dans la gestion du foyer, des finances et de l’éducation. Il est donc tout à fait possible de réinventer le leadership familial comme une gouvernance à deux.
Il ne s’agit pas d’aller contre la culture, mais de la faire évoluer. Un bon leader est celui qui sait s’adapter. Un homme fort, aujourd’hui, c’est celui qui reconnaît la force de sa partenaire et qui construit avec elle.
Lire aussi : Plongée dans la logistique malgré elle : Laetitia Mambo raconte son parcours
En soutenant l’émancipation des femmes, les hommes ne risquent-ils pas de se positionner en ‘’sauveurs’’, reproduisant malgré eux une forme de domination plutôt que de favoriser une véritable égalité ?
C’est une question essentielle. Le piège serait de voir l’émancipation des femmes comme un ‘’cadeau’’ que les hommes leur accorderaient. Ce n’est pas le cas. Les femmes n’ont pas besoin qu’on les sauve, elles ont besoin qu’on arrête de leur mettre des barrières.
Notre rôle en tant qu’hommes n’est pas de parler à leur place, ni de décider pour elles. Il est d’être des facilitateurs, de lever les freins systémiques et d’être à leurs côtés dans ce combat. Il faut passer de la logique du ‘‘je te donne du pouvoir’’ à celle du ‘‘je reconnais ton pouvoir et je m’assure que rien ne t’empêche de l’exercer’’.

Que dites-vous à présent à ces femmes qui craignent que leur émancipation ne les prive du soutien financier et protecteur des hommes. Comment rassurer tout en promouvant l’égalité ?
Le véritable amour et le véritable soutien ne sont pas basés sur la dépendance, mais sur le choix. Une femme qui s’émancipe ne perd pas le soutien de son partenaire, elle gagne en autonomie et en pouvoir de décision. Il faut sortir de l’idée selon laquelle la protection financière doit être unilatérale.
Dans un couple équilibré, les responsabilités sont partagées, et chacun soutient l’autre à différents moments de la vie. L’émancipation ne signifie pas rejet de la complémentarité, mais plutôt répartition plus juste des rôles.
”
Nous devons apprendre à nos fils que le ménage, la cuisine, et l’éducation des enfants ne sont pas ‘‘l’affaire des femmes’’
Si l’on revient au quotidien, la charge domestique et familiale reste un frein majeur à la carrière de nombreuses femmes. Même avec des diplômes et des ambitions, elles sont encore nombreuses à devoir arbitrer entre famille et travail. Comment peut-on accélérer une répartition plus équitable des responsabilités à la maison ?
Tout commence par l’éducation. Nous devons apprendre à nos fils que le ménage, la cuisine, et l’éducation des enfants ne sont pas ‘‘l’affaire des femmes’’, mais des responsabilités familiales.
Ensuite, les entreprises doivent suivre : pourquoi une femme devrait-elle toujours être celle qui ajuste sa carrière pour s’occuper des enfants ? Le congé parental partagé est une excellente solution pour casser cette dynamique.
”
C’est en changeant les mentalités des générations futures que nous bâtirons un monde plus juste.
Si vous deviez proposer une mesure phare pour faire de l’égalité une réalité, laquelle serait-elle ?
Je dirais une réforme éducative obligatoire sur l’égalité, dès le plus jeune âge. Si nous voulons voir un réel changement, il doit commencer dans les écoles, dès l’enfance. C’est en changeant les mentalités des générations futures que nous bâtirons un monde plus juste.