Cabral Libii, figure politique incontournable au Cameroun, député et secrétaire au bureau de l’Assemblée nationale et l’un des leaders de l’opposition politique dans son pays, incarne une vision politique audacieuse du numérique. Avec une carrière marquée par des interventions mondiales et une troisième place lors de la dernière élection présidentielle, il met en avant l’urgence de repenser le rôle du numérique dans le développement de l’Afrique. Nous l’avons rencontré !
Quelle est votre opinion sur le secteur des technologies et du numérique en général ? Est-ce un sujet qui vous préoccupe ?
Le secteur du numérique est un terrible échec dans notre pays, voire même dans notre continent. C’est bien entendu un secteur qui me préoccupe car il crée énormément de valeur et d’emplois en Europe, Asie et en Amérique, mais sur le continent africain, il reste au stade embryonnaire. Ce secteur est en proie à de nombreuses limites en commençant par la faiblesse de l’offre d’internet, les failles de cybersécurité, les nombreuses faillites dans le secteur ainsi que l’absence de régulation.
Nous avons évolué de l’internet 2.0 à l’intelligence artificielle, et aujourd’hui on parle de Métavers. Comme d’autres hommes politiques, craignez-vous pour l’avenir de l’humanité ou y voyez-vous une opportunité extraordinaire ?
Le progrès a toujours eu deux facettes dans l’histoire de l’humanité. Il apporte d’une part une amélioration des conditions de vie, un accroissement de la productivité, et il aide à la création d’emplois. D’autre part, le progrès est également responsable de l’augmentation des inégalités, il mène à une obsolescence plus rapide des produits et services, et a régulièrement, un impact environnemental négatif. Ces évolutions représentent donc une opportunité extraordinaire à condition de pouvoir en maîtriser les conséquences négatives pour notre espèce.
Au-delà des impressions, les chiffres montrent que l’ensemble des secteurs liés au numérique et à la technologie génèrent plusieurs centaines de milliards de dollars de revenus, bien au-dessus de certains secteurs dits de souveraineté. Ne pensez-vous pas que cela devrait être une priorité nationale ?
Non seulement cela devrait être une priorité nationale, mais également une priorité continentale. Comme je l’ai dit plus haut, notre continent est à la traîne par rapport aux autres. Or, ce ne sont pas les talents et les initiatives qui manquent.
Quand nous analysons par exemple tout ce que génère les entreprises du GAFA ou des entreprises telles que Alibaba et Blablacar, nous ne pouvons que nous tourner plus sérieusement vers l’économie numérique pour stimuler la croissance de l’Afrique.
Un expert informatique a déclaré : “En plus d’être à la traîne, nous n’avons aucun contrôle sur ce marché et nous perdons beaucoup, notamment nos données, ce qui renforce notre soumission aux autres.” Quel est votre commentaire sur cette affirmation ?
Je l’ai dit plus haut, sur le continent africain, une des limites du numérique est la faiblesse du tissu sécuritaire de nos données. Dans de nombreux pays, la cybersécurité est une affaire de souveraineté nationale, mais ici, compte tenu de ces failles, nos données sont, pour la plupart, hébergées à l’étranger; ce qui n’est pas très rassurant.
Là encore, ce ne sont pas les initiatives qui manquent sur le continent. Je peux citer par exemple le Forum International de Dakar sur la Paix et et la Sécurité qui, de mémoire sera à sa 10ème édition cette année et qui est très souvent axé sur la cybersécurité mais est très rarement suivi d’actions.
Vous siégez à l’Assemblée nationale du Cameroun depuis 2020, mais il semble qu’il n’y ait pas eu de progrès significatifs dans ce domaine. Qu’est-ce qui empêche l’adoption de propositions de loi concrètes dans ce sens ?
Malgré des mentions dans les discours du président de la république et des projets contenus dans le document de la SND 30, il n’y a clairement pas une volonté des politiques de développer ce secteur. Déjà parce qu’il est mal compris par nos gouvernants vieillissants et j’en veux pour preuves les récents accrochages entre le ministère des transports et l’application de mobilité Yango.
Mais aussi parce que le numérique laisse des traces indélébiles. Dans un environnement en proie à la corruption et à de nombreux détournements de deniers publics, personne ne voudrait laisser de traces. J’ai d’ailleurs récemment dénoncé dans une vidéo, les détournements sur le Système Informatisé de Gestion Intégrée du Personnel de l’Etat et de la Solde (SIGIPES), une application supposée gérer les salaires du personnel de l’Etat et qui n’ a finalement jamais vu le jour. C’est dans cette spirale que nous vivons en matière de numérique au Cameroun, beaucoup d’initiatives, beaucoup de discours et très peu d’actes.
En tant que député, leader politique et candidat à la prochaine élection présidentielle, quels sont les chantiers les plus urgents dans le domaine technologique et quelle est votre vision pour y parvenir ?
Il y a à mon sens, 4 chantiers prioritaires en matière de numérique au Cameroun:
Le premier, et non des moindres, est l’offre d’internet. Il fait élargir la couverture internet et réduire les coûts pour les utilisateurs. Pour cela, il faudrait une grande réforme sur la gestion de nos infrastructures et de l’entreprise Camtel ainsi qu’une meilleure régulation du marché de la fourniture d’internet.
Il y a ensuite le chantier de la cybersécurité. Sur ce plan, le Cameroun doit reprendre toute sa souveraineté en la matière en encourageant et accompagnant des initiatives telles que ST Digital ainsi qu’en mettant en place une unité renforcée de cyberdéfense.
Le troisième chantier est celui de la réglementation. Il y a un gros vide juridique en matière de numérique au Cameroun aussi bien sur la protection des internautes que sur la régulation des entreprises du secteur. Il faudrait œuvrer avec les différents acteurs du numérique afin de s’accorder sur une réglementation qui mette tout le monde d’accord.
Le quatrième chantier concerne l’accompagnement des startups camerounaises. Lors de la présidentielle en 2018, j’avais proposé de créer un incubateur doté d’un fonds conséquent pour accompagner ces entreprises. Cette proposition est toujours d’actualité afin de permettre aux jeunes créateurs d’avoir accès aux financements et tutorats pour développer leurs idées innovantes et apporter de la scalabilité à leurs entreprises. L’Etat pourrait également se porter caution auprès d’établissements de financement pour les startups qui présentent des allures de futures licornes.
Avez-vous un message à adresser à toutes les parties prenantes de ce vaste domaine : entrepreneurs, investisseurs, pouvoirs publics, législatif et utilisateurs ?
J’ai un seul message à faire passer à tous ces acteurs, je suis prêt à les mettre autour d’une table afin que nous travaillions efficacement à développer ce secteur et ainsi, développer notre pays.