L’ancien conseiller municipal (et actuel responsable du patrimoine commercial de la commune de Drancy) plaide depuis quelques années pour une Francophonie, levier de développement et moteur d’une croissance partagée et solidaire. Nous l’avons rencontré !
Avec ce franco-tunisien de 35 ans (qui a toujours été passionné par l’engagement citoyen), nous avons abordé l’actualité de l’APCAFT, ses actions, la Francophonie mais aussi l’actualité relative aux migrants subsahariens en Tunisie.
Bonjour Monsieur Rayed Chaibi. Que doit-on savoir sur vous et sur votre parcours ?
Je suis franco-tunisien, j’ai 35 ans, je suis né à Drancy en Seine-Saint-Denis, dernier d’une grande famille de 11 enfants. Mes parents sont nés en Tunisie. Ils sont venus en France au début des années 70 et se sont installés à Drancy en 1977.
J’ai fait l’essentiel de mes études à Paris où j’ai obtenu une licence de droit et science politique à l’Université Panthéon-Sorbonne.
L’engagement citoyen a toujours été une passion et c’est à ce titre que j’ai eu l’honneur d’être élu dans ma commune de Drancy de 2011 à 2014.
Professionnellement, je suis cadre territorial à la Direction du Développement économique de la Commune de Drancy et en parallèle, je suis engagé dans la vie associative entre les deux rives de la Méditerranée à travers l’Association pour la Promotion de la Coopération et l’Amitié entre la France et la Tunisie (APCAFT) que j’ai fondé le 20 mars 2018.
Comment vous est venue l’idée de créer l’APCAFT et quels sont ses objectifs et missions ?
J’avais la volonté de concilier mon expérience acquise ici en France comme élu de la République à l’engagement pour mon pays d’origine, de mes racines et de mes parents, la Tunisie.
C’est pourquoi, notre association a pour objectif de porter et développer des projets de solidarité sur le territoire tunisien dans divers domaines : l’éducation, la culture, la santé, l’entrepreneuriat social ou encore l’environnement et ce, en pleine coordination avec la société civile locale et les autorités tunisiennes.
D’autre part, nous œuvrons à fédérer notre diaspora et promouvoir le dialogue entre celle-ci et les autorités françaises et tunisiennes.
La Francophonie, quant à elle, prend naturellement une place centrale compte tenu du rôle historique de la Tunisie et du père fondateur Habib Bourguiba.
En somme, notre engagement est une forme de diplomatie que j’appelle la « diplomatie associative ». Sans nous substituer aux diplomates, cette nouvelle approche de la diplomatie consiste au renforcement des liens entre la France et la Tunisie par la coopération entre les acteurs de la société civile de nos deux rives de la Méditerranée.
Le 20 Mars dernier, votre organisation a fêté ses 5 ans. Quel bilan pouvez-vous dresser ?
Plutôt positif même si le chemin est encore long. Nous devons mener à terme les projets que nous avons lancé avant la crise sanitaire de 2020 comme par exemple, le projet de coopération dans le domaine de l’environnement avec l’opérateur public francilien pour l’assainissement, le SIAAP (Syndicat Interdépartemental de l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne).
Nous avons également été aux côtés de la Tunisie lors de la grave crise sanitaire de l’été 2021 qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. La Tunisie a été particulièrement touchée au point d’avoir le plus fort taux de mortalité en Afrique sur le mois de Juillet 2021.
Avec le concours des collectivités locales françaises qui se sont associées à notre opération de solidarité, nous avons pu acheminer plus de 1 million de masques et d’importantes quantités d’équipements médicaux grâce aux autorités militaires tunisiennes et notamment la Direction Générale de la Santé Militaire. C’est aussi ça la solidarité franco-tunisienne !
Enfin, il y a eu le « Sommet des Amis de la Francophonie » que nous avons organisé en Octobre 2021 et qui a rassemblé diasporas, acteurs économiques, académiques, éducatifs, culturels et des élus locaux.
Ces échanges et réflexions ont abouti au plaidoyer appelant à « Construire un nouveau modèle de coopération au sein de l’espace francophone » que nous avons porté lors du Sommet de la Francophonie à Djerba en Novembre dernier et que nous continuons à promouvoir.
Quels sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ou rencontrez encore et quelle est l’actualité de l’APCAFT (quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement) ?
Sur les difficultés, il y a parfois une forme de mépris et d’arrogance que l’on peut subir lorsque l’on s’implique sur un sujet qui est considéré comme « chasse gardée » par certains.
Je pense par exemple à la Francophonie ou la question de la refondation des liens entre l’Afrique et la France.
Fort heureusement ces attitudes sont minoritaires et ont plutôt l’effet inverse : elle renforce encore plus ma volonté d’agir !
Mais en général et notamment pour nos projets en Tunisie comme pour la Francophonie, nous avons la chance d’avoir l’oreille attentive de la Présidence de la République tunisienne et des autorités françaises, en particulier du pôle diplomatique de la Première Ministre Elisabeth Borne qui nous apporte une attention et un soutien salutaire.
Ce lieu aura un triple objectif : promouvoir la lecture et l’ouverture culturelle, permettre aux associations locales d’y faire du soutien scolaire afin de lutter contre le décrochage scolaire, véritable fléau aux terribles conséquences, et enfin permettre la création d’entreprises solidaires et citoyennes.
Nous souhaitons également que ce lieu puisse accueillir des activités pour la promotion des droits des femmes et notamment des femmes artisanes.
La santé sera aussi au cœur de notre engagement cette année. Nous organiserons une importante opération de collecte d’équipements médicaux pour soutenir les hôpitaux publics tunisiens.
J’ai d’ailleurs rencontré en mars dernier, le Ministre tunisien de la Santé, le Professeur Ali Mrabet, qui effectue un travail extrêmement déterminant avec le Ministre-Conseiller du Président de la République, le Général Mustapha Ferjani, pour remettre sur pied un système de santé qui soit accessible à tous les tunisiens.
Enfin, il y a la Francophonie et le plaidoyer que nous continuons de promouvoir auprès des chancelleries et j’espère que nous arriverons à porter au plus haut niveau, un certain nombre de propositions.
Lors du sommet de Djerba tenu en Novembre 2022, vous avez remis au Président Tunisien S.E Kaïs Saïed, le plaidoyer appelant à «bâtir une Francophonie levier de développement et moteur d’une croissance partagée et solidaire ». Quelques mois plus tard, avez-vous le sentiment que les lignes ont bougé dans ce sens ?
Lors du dernier Sommet, nous avons effectivement remis notre plaidoyer à S.E Kaïs Saïed, président du pays hôte ainsi qu’à la Vice-présidente de la République du Bénin, S.E. Mme Mariam Chabi Talata, à la délégation du Ministère des Relations Extérieures du Cameroun conduite par M. Christian Pout et enfin à la nouvelle présidente de la Conférence des Organisations Internationales Non Gouvernementales (COING) de l’OIF, Mme Danièle Toulemont dont je salue la nouvelle dynamique donnée pour faire entendre la voix de la société civile.
Sur ce point, j’ai été très sensible aux échanges que nous avons eu avec la délégation camerounaise notamment sur leur volonté d’associer la société civile sur des propositions en perspective de la prochaine Conférence Ministérielle de la Francophonie qui aura lieu justement cette année à Yaoundé.
Il est important, je pense, d’avoir cette synergie et d’agir avec force pour cette francophonie que nous avons en commun. Nous devons donner de la visibilité à la Francophonie, ses actions et agir aux côtés de la Secrétaire Générale Louise Mushikiwabo.
C’est pourquoi, nous poursuivons nos échanges avec les chancelleries et je dois reconnaitre que les retours sont plutôt positifs. Il est primordial de passer aux actes et de casser l’image – fausse par ailleurs – d’une institution qui ne fait que se réunir sans agir derrière.
Parlons d’autres choses pour sortir de cet entretien. Depuis le début du mois de février, une vague de répression vise les ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne en Tunisie. Sur les réseaux sociaux, les appels à la haine et aux meurtres contre les Noirs se multiplient. Quel regard portez-vous sur cette actualité brûlante ?
Tout d’abord, je condamne avec la plus grande vigueur ceux qui s’attaquent aux ressortissants sub-sahariens et qui font une justice expéditive absolument abjecte. C’est d’une lâcheté sans nom et les appels à la haine et aux meurtres doivent être sanctionnés avec la plus grande sévérité.
Ensuite, sur les propos tenus par le Président Saïed, je comprends l’émoi sincère que cela ait suscité auprès de personnes sincères mais je regrette que certains mauvais esprits aient volontairement surfés sur cette vague pour en faire un fonds de commerce de la désinformation et surtout, ternir l’image de la Tunisie en soufflant sur les braises.
Il ne faut pas que cet écran de fumée occulte le fait que pratiquement chaque jour en Tunisie, des passeurs se font des dizaines de milliers d’euros pour envoyer dans des embarcations de fortune des femmes, des hommes et des enfants sans se soucier de ce qu’il pourrait leur arriver ! Et quand ils reviennent sur les côtes tunisiennes, généralement ils sont « à l’horizontal » et on les recouvre d’un drap !
Il revient aux pays africains de se saisir collectivement de ce problème, de combattre ces criminels qui se font de l’argent sur le dos de leurs propres frères et sœurs et de réfléchir à comment développer une coopération inclusive et une croissance partagée.
Le Gouvernement tunisien, pour sa part, a annoncé un certain nombre de mesures pour protéger les migrants sub-sahariens dans le plein respect des droits humains et ces mesures ont été notamment saluées par la Commission de l’Union Africaine.
La Tunisie a toujours été un pays d’accueil et d’hospitalité, elle est un acteur majeur de ce continent pour lequel elle a donné son nom : je rappelle que l’Afrique tire son nom de « Ifriqiya », l’ancienne Tunisie.
Peut-on considérer cette situation comme un frein à la construction et au développement de cette francophonie solidaire pour laquelle vous œuvrez au quotidien ?
Non. Je pense au contraire que la Francophonie doit être une opportunité pour dépassionner ce sujet sensible en renforçant le dialogue et la coopération entre les diasporas francophones.
Nous avons beaucoup à gagner à construire et agir ensemble pour un continent qui est un socle important de la Francophonie et qui accueillera à l’horizon 2065, 90% de la population francophone.
C’est le sens justement de la proposition du « Réseau d’Initiative Civile Francophone » que nous formulons dans notre plaidoyer et qui doit permettre de développer un véritable écosystème associatif francophone.
Un dernier mot ?
Soyons unis et solidaires pour construire l’avenir de cette Afrique que nous avons en commun !