Les clichés ont la peau dure : on imagine les RH enfermés dans un bureau à gérer des contrats et organiser des entretiens. La réalité est tout autre. Djeinabou Souleyman, DRH chevronnée, est en première ligne sur tous les fronts : recrutement, rétention des talents, arbitrages stratégiques et parfois décisions impopulaires.
Dans un monde du travail en pleine mutation, comment assume-t elle ce rôle de chef d’orchestre ? Elle nous ouvre les portes d’un métier où chaque décision pèse lourd.
Bonjour Madame Djeinabou. Une petite présentation pour ceux qui vous découvrent ?
Bonjour à tous ! Je suis Djeinabou SOULEYMAN, DRH avec plus de 20 ans d’expérience dans des secteurs dynamiques et exigeants comme les télécommunications et l’énergie.
J’ai eu la chance d’occuper des rôles stratégiques variés, allant de la Direction des Normes et de la Qualité à la Gestion des Ventes, avant de me consacrer pleinement aux Ressources Humaines.
Mon parcours m’a permis de développer une vision globale de l’entreprise et une profonde compréhension des enjeux humains et organisationnels.
Aujourd’hui, je mets mon expertise au service de NHPC (acteur majeur dans le secteur de l’énergie au Cameroun), où je m’efforce de concilier performance et bien-être au travail.
Passionnée par le développement des talents et la transformation des organisations, j’aime partager mes réflexions et inspirer les professionnels à relever les défis de demain. Je suis titulaire d’un MBA obtenu à HEC Paris et d’un DESS en management public.
Sur le papier, être DRH, c’est gérer des contrats, la paperasse, recruter quelques talents et organiser des entretiens annuels. En somme, un métier de bureau sans trop de vagues. Vous confirmez, ou il y a une réalité moins confortable derrière cette image ?
Ah, si seulement c’était aussi simple (rires) ! Être DRH, c’est bien plus que de la gestion administrative. C’est un métier qui exige une grande agilité émotionnelle et stratégique. Derrière chaque contrat, il y a une personne avec des aspirations, des défis et des rêves.
Derrière chaque recrutement, il y a la responsabilité de trouver non seulement des compétences, mais aussi des valeurs alignées avec celles de l’entreprise. Et derrière chaque entretien annuel, il y a des conversations qui peuvent transformer des carrières et des vies.
La réalité, c’est que nous sommes souvent en première ligne pour gérer des crises, accompagner des transformations difficiles et trouver un équilibre entre les attentes des collaborateurs et les objectifs de l’entreprise. C’est un métier exigeant, mais incroyablement enrichissant.
Vous avez d’abord exercé dans les télécoms avant de vous orienter vers un secteur exigeant : l’énergie et les grands projets d’infrastructures. Qu’est-ce qui vous a attirée dans cet environnement ?
Le secteur de l’énergie et des infrastructures m’a attirée par son impact tangible sur le développement économique et social. Contrairement aux télécoms, où l’innovation est souvent immatérielle, ici, chaque projet a une empreinte visible : une centrale, un réseau électrique…
C’est un secteur où les défis sont immenses, mais où chaque réussite contribue directement à améliorer la vie des populations.
De plus, la complexité des projets et la diversité des profils (ingénieurs, techniciens, managers) rendent ce secteur passionnant pour une DRH.
C’est un environnement où l’on apprend tous les jours, où l’on doit constamment innover pour attirer et fidéliser les meilleurs talents.”
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Les RH d’aujourd’hui sont de plus en plus conscients de leur rôle stratégique et humain. Nous ne sommes plus simplement des « gatekeepers »
Entre les objectifs de la direction et les attentes des salariés, vous êtes souvent à mi-chemin entre le marteau et l’enclume. Peut-on vraiment contenter tout le monde ? Ou faut-il accepter d’être celle qui prend les coups ?
Contenter tout le monde est un idéal, mais rarement une réalité. En tant que DRH, notre rôle est de trouver un équilibre entre les besoins de l’entreprise et ceux des collaborateurs.
Cela nécessite une écoute active, une grande transparence et parfois des décisions difficiles. Oui, il arrive que nous soyons perçus comme le « marteau » ou « l’enclume », mais notre véritable mission est d’être un pont entre les deux.
Cela implique de prendre des coups, mais aussi de savoir les transformer en opportunités de dialogue et de progrès. Le plus important, c’est de rester aligné avec les valeurs de l’entreprise et de toujours agir avec intégrité.

Dans votre secteur, les ingénieurs et les experts sont des perles rares et très convoitées. Comment faites-vous pour les attirer… et surtout les garder ? C’est quoi votre arme secrète pour éviter qu’ils ne partent au « Canada » ?
Attirer et fidéliser les talents dans un secteur aussi compétitif est effectivement un défi de taille. Notre « arme secrète », c’est de leur offrir bien plus qu’un salaire attractif.
Nous misons sur la notoriété de notre projet, une culture d’entreprise inclusive et des opportunités de développement professionnel.
Par exemple, nous proposons des programmes de professionnalisation avec des parcours métiers personnalisés, des programmes de mentorat et des challenges techniques qui permettent à nos salariés de se dépasser.
Ensuite, nous veillons à créer et maintenir un environnement de travail où ils se sentent valorisés et écoutés.
Le Canada peut offrir des opportunités, mais nous croyons que notre différence réside dans notre capacité à leur donner un sentiment d’appartenance et un impact concret ici, chez nous.
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Votre métier, c’est aussi gérer les crises, annoncer des licenciements, arbitrer des conflits internes. C’est quoi le moment le plus difficile que vous ayez eu à affronter ?
Les moments difficiles font partie intégrante de notre métier. L’un des plus marquants en ce moment, est la gestion des démobilisations des salariés à la fin du chantier.
Annoncer les fins de contrat est toujours déchirant, car derrière chaque décision, il y a une personne, une famille, des rêves.
Ces nuits-là, je ne dors pas beaucoup, mais je me rappelle que notre responsabilité est d’accompagner ces collaborateurs avec humanité et respect.
Nous avons mis en place des dispositifs de reconversion, de soutien psychologique et de formation pour les aider à rebondir.
Ces moments, bien que douloureux, renforcent ma conviction que les RH doivent toujours agir avec empathie et éthique.
On dit des RH au Cameroun qu’ils sont froids, distants, voire opportunistes selon les situations. Vous en pensez quoi ? C’est un cliché ou une vérité qu’on préfère ne pas assumer ?
C’est un cliché qui, malheureusement, trouve parfois son origine dans des réalités vécues. Cependant, je crois que cette image est en train de changer.
Les RH d’aujourd’hui sont de plus en plus conscients de leur rôle stratégique et humain. Nous ne sommes plus simplement des « gatekeepers », mais des partenaires qui accompagnent les collaborateurs et les entreprises dans leur croissance.
Bien sûr, il y a encore du travail pour renforcer la confiance, mais je suis convaincue que la nouvelle génération de professionnels RH est en train de redéfinir cette image, en plaçant l’humain au cœur de leurs actions.
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Notre rôle est de trouver des solutions qui allient bien-être et performance
Aujourd’hui, le rôle du DRH a évolué. Avec l’essor du télétravail, l’explosion des attentes des jeunes générations et la quête de sens au travail, vous êtes en première ligne. Vous avez l’impression d’être devenue plus psychologue que gestionnaire ?
Absolument ! Le DRH d’aujourd’hui doit être un peu psychologue, un peu coach, un peu stratège et un peu innovateur. Les attentes des collaborateurs ont évolué : ils cherchent du sens, de la flexibilité et un équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
Le télétravail a accentué cette tendance, et nous devons constamment réinventer nos pratiques pour répondre à ces besoins. Cela passe par une écoute active, une communication transparente et une capacité à adapter nos politiques.
Mais au-delà de la psychologie, nous restons des gestionnaires : notre rôle est de trouver des solutions qui allient bien-être et performance.
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Si vous deviez déconstruire un préjugé tenace sur votre métier, lequel choisiriez-vous ? Et quel regard portez-vous sur l’avenir de votre profession dans un monde du travail en pleine mutation ?
Le préjugé que je voudrais déconstruire est que les RH sont uniquement là pour défendre les intérêts de l’entreprise au détriment des collaborateurs.
En réalité, notre mission est de créer un équilibre gagnant-gagnant. Nous sommes là pour faire grandir les individus et les organisations, en alignant leurs objectifs. Quant à l’avenir, je suis convaincue que les RH joueront un rôle clé dans la transformation du monde du travail.
Avec la quête de sens et les nouvelles formes de travail, notre profession devra continuer à innover pour rester pertinente. L’avenir des RH, c’est de devenir des catalyseurs de changement, en plaçant l’humain au centre de toutes les décisions.