« L’IA n’est pas une simple tendance passagère. C’est une révolution » Habib IYA

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" Le véritable enjeu aujourd’hui n’est pas de savoir si on doit adopter l’IA, mais plutôt comment l’intégrer intelligemment à nos usages

L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres. Tantôt perçue comme une opportunité sans précédent, tantôt redoutée comme une bombe à retardement, elle fascine autant qu’elle inquiète. Certains y voient un levier de productivité inégalé, d’autres un risque majeur pour l’emploi et même pour la survie de l’humanité.

Récemment, une attaque de robots en Chine a relancé les débats : l’IA peut-elle devenir incontrôlable ? Est-elle une alliée ou une menace ? Pendant que les entreprises l’adoptent à grande vitesse, une question demeure : qui la maîtrise réellement ?

Et surtout, l’homme ne risque-t-il pas de devenir esclave de ses propres créations ? Pour essayer de comprendre, nous avons posé la question à Habib IYA, spécialiste en IA et en transformation digitale.

Bonjour Habib. Une petite présentation ?

Bonjour, je suis Habib Iya. J’aime me présenter comme un pur produit du Port de Kribi, où j’évolue depuis plus de 12 ans. J’ai eu la chance de participer à cette aventure dès ses premières étapes, d’abord au sein de l’équipe projet, puis dans la société de mise en exploitation. J’ai notamment contribué à l’implémentation et à la gestion du département commercial et marketing.

Aujourd’hui, en tant que chef de la représentation du Port Autonome de Kribi à Douala, mon rôle est de faciliter les échanges avec les acteurs économiques, d’accompagner les chargeurs et d’élargir l’influence du Port de Kribi. Mais au-delà de ces missions institutionnelles, j’ai toujours eu une profonde passion pour l’innovation et la transformation digitale.

C’est dans cet esprit que nous avons initié PakAzure, un laboratoire d’innovation qui nous a permis d’expérimenter au quotidien l’intelligence artificielle et l’ingénierie décisionnelle. Cette plateforme, qui revendique environ 100 abonnés, est appliquée aux enjeux logistiques et du commerce extérieur.

Ce projet nous a apporté une vision plus fine des défis liés à l’optimisation des processus, à la gestion des données et à la prise de décision stratégique dans un environnement complexe.

Dans le cadre de ce projet expérimental, grâce à un positionnement « smart » du port de kribi, nous avons été capable de développer des solutions basées sur l’IA pour répondre aux besoins concrets des entreprises et des professionnels de notre communauté d’affaires.

Nous travaillons notamment sur des outils de génération de leads, des twins numériques pour mieux modéliser certains flux et tendances, ainsi que sur des assistants digitaux conçus pour épauler les équipes dans leurs tâches quotidiennes. 

L’IA est sur toutes les lèvres, mais rares sont les professionnels qui la maîtrisent réellement. Comment expliquez-vous cet écart entre l’enthousiasme général et la réelle compétence sur le sujet ?

Alors, je pourrais vous surprendre, mais en fait, l’IA souffre du syndrome du buzzword. Beaucoup la perçoivent comme une simple tendance passagère, alors qu’en réalité, elle représente un bouleversement irréversible de nos façons de travailler, de décider et même d’interagir avec le monde.

J’ai parfois l’impression que cette perception erronée freine l’engagement sincère des professionnels à véritablement se former et l’intégrer à leurs processus métier.

Ensuite, il faut reconnaître que la vague de l’IA générative est encore récente. L’explosion de ChatGPT en novembre 2022 a été un électrochoc. En l’espace de quelques mois, les usages ont explosé et les capacités de ces outils ont progressé à une vitesse folle.

Ce phénomène a pris de court beaucoup de professionnels, y compris ceux qui travaillaient déjà sur des modèles d’IA plus classiques.

Un autre élément clé, c’est que les technologies avancent plus vite que leur adoption. Le fossé entre l’innovation et sa mise en œuvre concrète dans les entreprises est bien réel. Il y a un décalage entre la rapidité des avancées technologiques et le temps qu’il faut pour adapter les processus, former les équipes et comprendre l’impact stratégique de ces outils.

Enfin, il y a un vrai problème d’appropriation. Trop souvent, l’IA est présentée de façon trop technique ou trop abstraite. Pourtant, son impact concerne bien au-delà des ingénieurs : elle touche les managers, les responsables marketing, les logisticiens, bref, toutes les fonctions stratégiques.

Mais sans une bonne pédagogie et des cas d’usage concrets, beaucoup restent sur la touche, ne sachant pas par où commencer.

Habib Iya_IA-transformationdigitale_projecteurmagazine

L’Afrique semble en retard dans l’adoption et le développement de l’IA. Pourquoi investissons-nous si peu dans cette technologie ? Quels seraient, selon vous, les leviers pour accélérer son adoption sur le continent ?

Le fossé est encore plus marqué en Afrique, où plusieurs facteurs viennent amplifier ce retard, mais avant même de parler d’infrastructures et d’investissements, il faut souligner que la philosophie ne suit pas. L’Afrique est plurielle, et bien qu’il y ait une tendance à homogénéiser son approche de l’IA, la réalité est que les priorités varient énormément selon les régions.

Prenons l’Afrique centrale, par exemple : ici, l’investissement en IA ne saurait être une priorité absolue au regard des attentes beaucoup plus pressantes dans d’autres secteurs économiques comme les infrastructures de base, l’énergie, la santé ou l’industrialisation. L’intelligence artificielle, dans ce contexte, peut sembler un luxe, alors que l’urgence est d’abord de consolider les fondations du développement économique.

Mais posons-nous la question autrement : devons-nous obligatoirement investir massivement pour être un acteur clé de cette révolution ? L’investissement est-il réellement le seul indicateur de l’adhésion à une technologie ? Je ne pense pas.

Certains pays investissent énormément dans l’IA sans pour autant en faire une adoption pertinente, tandis que d’autres, avec des moyens limités, parviennent à exploiter intelligemment les avancées technologiques pour répondre à des problématiques spécifiques.

C’est pourquoi il faut voir les choses de façon plus macro. Le premier levier sur lequel l’Afrique doit miser n’est pas uniquement financier, mais repose sur la formation, la sensibilisation et le renforcement des capacités.

L’adoption de l’IA doit être tirée par une approche top-down, en commençant par les décideurs et les leaders économiques, pour ensuite se diffuser plus largement au sein des entreprises et des institutions.

Enfin, il faut évaluer la performance apportée par l’IA non pas sur la base des investissements injectés, mais sur des indicateurs concrets :

  • Le cost saving (réduction des coûts) ;
  • Le time saving (gain de temps dans les processus) ;
  • L’amélioration de la qualité des inputs (une meilleure gestion des données et une prise de décision plus efficace).

L’IA ne doit pas être vue comme une fin en soi, mais comme un outil stratégique capable d’améliorer la compétitivité des entreprises africaines, même sans investissements massifs. Le véritable défi est donc d’insérer intelligemment l’IA dans nos modèles économiques existants, en se focalisant sur des cas d’usage concrets qui répondent aux réalités du continent.


Ce qui rend cette transformation irréversible, c’est d’abord sa scalabilité et son accessibilité


L’IA est-elle une simple tendance ou un tournant irréversible ? Peut-on encore s’offrir le luxe de s’en passer ?

Pour les technoptimistes comme moi, il est clair que nous sommes face à une révolution et non à une simple tendance passagère. D’aucuns la qualifient de disruptive, et à juste titre, car son impact est comparable à l’arrivée d’Internet. 

À l’époque, certains pensaient que le web était un gadget réservé à une élite technologique, avant qu’il ne devienne un pilier incontournable de nos sociétés. Aujourd’hui, l’IA suit exactement le même chemin, avec une portée encore plus large.

Ce qui rend cette transformation irréversible, c’est d’abord sa scalabilité et son accessibilité. L’IA est désormais intégrée dans des outils du quotidien, des moteurs de recherche aux applications mobiles, en passant par les plateformes de productivité et les logiciels métiers.

Elle n’est plus un luxe technologique, mais se mue progressivement en brique standardisée, accessible aussi bien aux grandes entreprises qu’aux particuliers.

Ensuite, il y a l’effet d’entraînement économique, c’est-à-dire que l’IA ne se contente pas d’automatiser des tâches : elle crée de nouveaux marchés, de nouvelles compétences et redéfinit la productivité. Les entreprises qui l’adoptent gagnent un avantage concurrentiel trop important pour que les autres puissent se permettre de l’ignorer. C’est un peu comme l’industrialisation : au départ, c’était un choix, mais très vite, c’est devenu une nécessité pour rester compétitif.

Un autre élément clé, c’est que les infrastructures technologiques ont déjà pris ce virage. Les grands acteurs du cloud, du big data et des semi-conducteurs ont massivement investi pour que l’IA soit au cœur des architectures informatiques modernes.

Cela signifie qu’à terme, tous les logiciels et outils professionnels intègreront nativement de l’intelligence artificielle, qu’on le veuille ou non.

Enfin, il y a le facteur humain et culturel. Contrairement à d’autres technologies qui restent cantonnées à un domaine spécifique, l’IA touche toutes les sphères de la société : l’éducation, la santé, la logistique, le commerce, la création artistique… C’est une technologie qui ne fonctionne pas en silo, elle s’infiltre partout, ce qui la rend impossible à contourner.

Alors peut-on encore s’offrir le luxe de s’en passer ? Franchement, non. Le véritable enjeu aujourd’hui n’est pas de savoir si on doit adopter l’IA, mais plutôt comment l’intégrer intelligemment à nos usages, sans tomber dans la surenchère technologique.


Lire aussi : « L’engouement actuel autour de l’IA n’est pas une mode passagère » Christian Joret


Certains experts estiment que nous sommes passés du statut de penseurs à celui de simples consommateurs d’informations. Quel est votre avis sur le sujet ? Comment éviter cette dérive ?

Nous vivons dans la société de l’information, c’est-à-dire un monde où l’accès aux connaissances n’a jamais été aussi rapide et abondant. Aujourd’hui, en quelques secondes, nous pouvons obtenir une réponse à presque n’importe quelle question, sans effort apparent. L’information est partout, mais paradoxalement, cela ne signifie pas que nous réfléchissons plus.

C’est vrai que l’IA et les algorithmes ont changé notre rapport au savoir. Avant, chercher une information demandait un travail d’analyse, de croisement des sources, de réflexion. Aujourd’hui, beaucoup se contentent de ce qui leur est proposé automatiquement, sans remettre en question l’origine ou la véracité de ces données. Cela peut donner l’impression que nous sommes devenus de simples consommateurs, absorbant des contenus sans véritablement les digérer.

Mais je pense que tout dépend de l’usage que l’on fait de ces outils. L’IA ne nous empêche pas de penser, mais elle nous oblige à repenser comment notre façon d’interagir avec l’information. Si l’on se contente d’accepter passivement ce qu’elle nous propose, alors oui, nous risquons de perdre en esprit critique. 

Mais si nous apprenons à utiliser intelligemment ces technologies, à poser de meilleures questions, à vérifier les sources et à croiser les perspectives, alors l’IA devient un formidable levier d’amplification de la pensée, et non un frein. Pour éviter cette dérive, il faut donc développer une culture de l’analyse et de la curiosité. 

Cela passe par l’éducation au numérique, mais aussi par une habitude simple : se poser la question du “pourquoi” et du “comment” derrière chaque information. L’IA ne doit pas être une fin en soi, mais un outil pour mieux comprendre, mieux créer et mieux décider.


Les vrais gagnants de cette révolution seront ceux qui sauront s’adapter et se repositionner intelligemment


Parlons à présent de l’automatisation des tâches qui s’accélère. À ce rythme, doit-on redouter une vague de chômage massif ou simplement une transformation des métiers ? Quels secteurs seront les plus impactés et qui sont les vrais gagnants de cette révolution ?

L’automatisation des tâches et l’IA vont inévitablement faire disparaître certains métiers, en transformer d’autres et en créer de nouveaux. C’est un phénomène qui a toujours accompagné les grandes révolutions technologiques, mais cette fois, la vitesse du changement est sans précédent.

D’un point de vue économique, les études montrent que les métiers les plus répétitifs et basés sur l’exécution pure sont les plus exposés. L’IA et la robotisation remplacent déjà des fonctions comme le traitement administratif, la saisie de données, le support client basique ou encore certaines tâches de production industrielle.

Des secteurs comme la finance, la logistique ou même le droit et la création de contenu sont touchés, avec une automatisation croissante des analyses, de la rédaction et de la prise de décision sur des tâches standards.

Mais en parallèle, cette évolution crée aussi une demande pour de nouvelles compétences, notamment dans la gestion et l’optimisation des outils d’IA, l’analyse des données et l’interprétation des résultats.

Ce qui me semble le plus marquant, et peut-être même le plus inquiétant, c’est moins la disparition de certains métiers que le changement profond dans notre rapport au travail et à la valeur de l’effort. Pendant des années, nous avons appris qu’une expertise se construisait avec du temps, de la rigueur et de la pratique.

Aujourd’hui, on peut obtenir un résultat de qualité équivalente en tapant un simple prompt dans le bon outil, avec les bons mots. C’est à la fois exaltant et vertigineux, parce que cela remet en cause des années d’apprentissage, et quelque part, cela nous force à une forme d’humilité.

D’un point de vue philosophique, cela pose la question de ce que signifie réellement “travailler” dans un monde où la machine peut produire des résultats aussi bons, voire meilleurs, que l’humain sur certaines tâches.

Cela implique aussi une réflexion sur ce que l’on valorise dans un métier : est-ce la production brute d’un livrable ou la capacité à poser les bonnes questions et à comprendre les enjeux derrière un problème ?

Les vrais gagnants de cette révolution seront ceux qui sauront s’adapter et se repositionner intelligemment.

Quelles bonnes pratiques recommandez-vous pour tirer pleinement profit de l’IA tout en gardant une approche équilibrée ?

Déjà, il faut dissocier le côté ludique de l’IA que tout le monde teste avec ChatGPT de son vrai potentiel en tant qu’outil de performance et de productivité. L’IA n’est pas juste un gadget impressionnant, c’est un véritable allié stratégique pour gagner en efficacité et optimiser son travail. Ceux qui l’intègrent intelligemment en tireront un avantage concurrentiel, tandis que ceux qui la voient comme une simple curiosité risquent de passer à côté de son impact réel.

Je vois deux grands axes pour les professionnels africains qui veulent optimiser leur usage de l’IA sans tomber dans un assistanat excessif. Le premier, c’est son intégration dans l’automatisation des tâches.

Il faut commencer par dresser une cartographie des tâches répétitives qui apportent peu de valeur ajoutée, puis identifier celles qui sont répétitives mais stratégiques et qui mériteraient d’être optimisées.

Une fois cette analyse faite, il est important de se fixer une roadmap claire et surtout de se faire accompagner par des experts. Il y a d’excellents spécialistes de l’IA en Afrique qui peuvent aider à structurer cette transition et éviter de tomber dans un usage mal maîtrisé ou inefficace.

Le deuxième axe est plus stratégique : comment l’IA peut aider à agrandir son business ou à le pérenniser. Là, on ne parle plus simplement de gain de temps, mais de réflexion sur les opportunités que l’IA peut débloquer en termes de développement commercial, d’optimisation des coûts, de meilleure gestion des ressources ou même de création de nouveaux services.

Cette approche demande un vrai engagement, car elle pousse à revoir son modèle économique, à tester de nouvelles méthodes et à apprendre en continu.

L’essentiel, c’est de garder un équilibre : utiliser l’IA comme un levier de croissance et non comme une béquille. Elle doit permettre d’aller plus loin, de travailler plus intelligemment, mais sans jamais remplacer la réflexion humaine et la capacité à prendre des décisions stratégiques.

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