« L’industrie des cosmétiques est à ses balbutiements pour le moment mais le marché est dynamique » Sylvia ONGONO

Sylvia Thudor ONGONO, fondatrice de ESSILA, marque de cosmétiques et promotrice du salon de la beauté africaine (SABA)

Rencontre avec une femme qui, au-delà des apparences, s’engage pour transformer les regards et les mentalités

Entrepreneure guadeloupéenne installée au Cameroun depuis quelques années, Sylvia Thudor Ongono a fait de sa passion pour la beauté naturelle un véritable moteur de changement. À travers sa marque de cosmétiques Essila et le Salon de la Beauté Africaine (SABA), elle s’efforce de promouvoir une vision de la beauté ancrée dans les traditions africaines.

Bonjour Sylvia. Une petite présentation ?

Bonjour et merci pour cette invitation. Je suis Sylvia Thudor Ongono, enseignante et entrepreneure guadeloupéenne installée à Douala. Je suis fondatrice d’Essila, une marque de cosmétiques naturels dédiée aux cheveux texturés et locksés, et également propriétaire d’un salon de coiffure spécialisé dans les soins des cheveux frisés, crépus, bouclés et locksés. Mon parcours est guidé par la passion pour la beauté naturelle et la transmission de valeurs d’authenticité.

Le Salon de la Beauté Africaine (SABA) est l’un de vos projets phares. D’où est venue l’idée de ce salon et quelle est son histoire ?

Le SABA est né en 2023 de ma volonté de célébrer la beauté naturelle et authentique des femmes africaines et afro-descendantes. En tant que professionnelle des cosmétiques et des soins capillaires, j’ai rencontré beaucoup de femmes qui avaient un rapport compliqué à leur cheveu naturel.

J’ai constaté un besoin d’espaces où les femmes peuvent échanger, s’éduquer et se réapproprier leur image. Cette année, en Novembre 2024 a eu lieu la seconde édition du SABA dont le thème était, “Racines et Affirmation : célébrons notre histoire, élevons notre beauté”. Ce thème reflète totalement cet engagement.


Le Cameroun, occupe le podium international de la beauté aux côtés de la Côte d’Ivoire et du Sénégal 

En quelques mots, quel bilan dressez-vous de cette deuxième édition du SABA ?

Cette édition a été un grand succès. Nous avons accueilli près de 1000 visiteurs, essentiellement des femmes mais la population masculine n’est pas restée à l’écart. Beaucoup d’enfants étaient présents également pour participer à une animation spécialement conçue pour eux : SABA Kids. Une cinquantaine de marques de cosmétiques, de prêt-à-porter, d’accessoires de mode, de bijoux, de bien-être ont pu rencontrer un public curieux et ravi de découvrir des marques locales.

Le volet éducatif était également un objectif de ce salon avec des conférences menées par des intervenants passionnés sur les soins capillaires, les routines pour avoir une belle peau, le lien entre la beauté intérieure et la beauté extérieure, les normes de qualité pour les produits cosmétiques, etc.

La cerise sur le gâteau a été portée par Lydol, musicienne, slameuse camerounaise qui a partagé avec le public sa conception de la beauté en lien avec l’Art. Chaque activité, des conférences aux démonstrations pratiques, a été l’occasion de créer du lien et d’apporter des solutions concrètes.

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Quel regard porte-vous sur l’industrie des cosmétiques capillaires au Cameroun aujourd’hui ?

C’est un secteur en pleine évolution. De plus en plus de femmes se tournent vers des produits locaux adaptés à leurs cheveux naturels. Toutefois, il reste du chemin à parcourir pour proposer des gammes de qualité qui répondent aux besoins spécifiques des consommatrices et aux normes de qualité internationales.

L’industrie des cosmétiques est à ses balbutiements pour le moment mais le marché est dynamique au regard du nombre de marques africaines qui voient le jour chaque année. Le Cameroun, occupe le podium international de la beauté aux côtés de la Côte d’Ivoire et du Sénégal : la demande y est forte, l’offre y est dense mais pas encore tout à fait organisée.

La popularité croissante des perruques et extensions représente-t-elle une menace pour votre marché ou une opportunité ?

Même si à priori on pourrait considérer les perruques ou les extensions comme une menace, c’est finalement une opportunité car souvent sous les perruques, les cheveux sont naturels. Les perruques permettent de varier de style tout en protégeant ses cheveux naturels si elles sont placées correctement et si elles sont portées occasionnellement. L’essentiel est que les femmes aient accès à des produits et soins pour maintenir la santé de leurs cheveux sous la perruque.

Pensez-vous que la cosmétique capillaire au Cameroun a besoin d’une révolution ?

Oui, une révolution est nécessaire, mais elle doit être adaptée à notre contexte. Nous avons besoin de marques qui valorisent nos ingrédients locaux et répondent aux besoins spécifiques des femmes africaines, tout en éduquant sur les soins capillaires. Car les vraies questions sont l’éducation et la confiance en soi.

Malheureusement, les médias montrent rarement des jeunes femmes noires avec leurs cheveux naturels. Du coup, les femmes et les jeunes filles considèrent que pour être belle, il faut porter des cheveux lisses et longs. Quand ce paradigme sera totalement effacé, quand on verra plus souvent dans nos médias des femmes avec leur afro, leurs cheveux naturels ou même des femmes locksées, les mentalités changeront et alors, des marques de cosmétiques pour le soin des cheveux texturés connaitront un réel essor.

Qu’est-ce qui manque à Essila pour devenir une référence incontournable comme Les Secrets de Loly ?

Essila doit encore élargir sa gamme de produits et renforcer sa présence à l’international. Nous travaillons aussi sur des initiatives pour créer une communauté forte et engagée autour de nos valeurs.

Il faut également constamment innover pour répondre aux attentes d’une clientèle en quête d’authenticité, tout en maintenant des prix accessibles malgré la hausse des coûts de production. Enfin, l’approvisionnement en matières premières locales de qualité peut parfois être compliqué.


Rappelez-vous que votre beauté est une force

Y a-t-il un moment clé, une anecdote marquante, qui a changé votre parcours dans cette aventure ?

J’ai grandi en Seine-Saint-Denis où le brassage culturel était tel que je ne me suis jamais posé la question de la différence. C’est après l’obtention de mon diplôme et lors de mes entretiens de recrutement que je me suis aperçue que pour certains ma peau noire dissonait avec mon nom très français. A l’époque, je me défrisais les cheveux, portais des tissages pour coller aux standards de beauté imposés par les médias.

J’ai décidé de faire des recherches sur mes ancêtres pour comprendre mon histoire, mon identité. Je me suis découvert un an arrière-arrière grand père esclave. Dès lors, j’ai arrêté de me défriser les cheveux, je voulais que mon apparence physique soit en total adéquation avec mon identité, mon histoire, ma culture. En tant qu’entrepreneure, je me suis donnée pour mission de promouvoir une beauté qui célèbre la diversité, l’authenticité, l’estime de soi. Mon arrivée au Cameroun a renforcé cette vocation.

Si vous deviez citer un livre, une personnalité ou un événement qui vous inspire au quotidien, ce serait quoi et pourquoi ?

Viola Davis est une femme inspirante qui malgré les mauvaises cartes du début de sa vie a su s’accrocher à son rêve et l’a rendu possible à force de détermination, de foi et de travail.

Un événement m’a marquée cette année : la loi visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire adoptée en mars 2024 par l’Assemblée Nationale en France. C’est grâce à des femmes passionnées comme Aline TACITE, fondatrice du salon Boucles d’Ebène à Paris et au député Olivier SERVA qu’une telle loi a pu être adoptée. Encore beaucoup de femmes n’osent pas porter leur cheveu naturel à cause du « qu’en dira-t-on » de l’entourage mais également au sein de leur cercle professionnel. Grâce à cette loi, les mentalités vont changer. Pourvu qu’au Cameroun, les mentalités changent aussi.

Et enfin, la citation qui me porte en ce moment : « La peur, c’est le courage qui a fait ses prières ». Le SABA permet à beaucoup de femmes de montrer leur talent, leur savoir-faire. Souvent, elles décident d’exposer avec la peur de se confronter à un public méconnu. Mais au final, lorsqu’elles surmontent cette peur, c’est toujours avec beaucoup de joie qu’elles font le bilan de cette expérience. J’ai fait partie de ces femmes lorsque l’idée du SABA a émergé dans mon esprit ! Aujourd’hui, je suis boostée pour continuer à faire grandir ce Salon de la Beauté Africaine !

Un dernier mot pour les femmes africaines qui veulent sublimer leur beauté ?

Vous êtes belles telles que vous êtes. Acceptez votre histoire, vos racines, acceptez vos cheveux et votre peau. Prenez soin de vous et de votre couronne, et rappelez-vous que votre beauté est une force.

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