En 2018, le Cameroun apparaissait encore dans le top 10 des pays africains émergents dans le secteur du e-commerce. Six ans plus tard, le constat est amer : le pays a disparu du top 30. Le retrait de Jumia, autrefois pilier du commerce en ligne au Cameroun, a-t-il suffi à fragiliser tout un écosystème ?
Face à des infrastructures numériques fragiles et une confiance des consommateurs ébranlée, quelles mesures le gouvernement met-il en place pour inverser la tendance ? Pour éclairer ces enjeux, nous avons rencontré Yussuf Buba, chef du service e-commerce au Ministère du Commerce, qui revient sur les défis à relever et les pistes de relance envisagées pour ce secteur en perte de vitesse.
Pouvez-vous nous donner un aperçu actuel du e-commerce au Cameroun, ainsi que les tendances marquantes observées dans ce secteur ?
Le e-commerce au Cameroun est en pleine croissance, avec une augmentation du nombre de plateformes en ligne et une adoption croissante par les consommateurs. Malgré certains défis tels que l’infrastructure limitée et les problèmes de paiement en ligne, le secteur connaît un développement prometteur, notamment dans les domaines de l’alimentation, de la mode et de l’électronique. Les entreprises locales et internationales investissent dans ce marché en expansion, ce qui contribue à stimuler davantage la croissance du e-commerce au Cameroun.
Certaines tendances émergentes dans le e-commerce au Cameroun comprennent :
– l’expansion des plateformes en ligne locales : des entreprises locales lancent des plateformes e-commerce adaptées aux besoins et aux préférences des consommateurs camerounais, offrant une variété de produits et services ;
– adoption du mobile commerce : avec une forte pénétration des smartphones, le commerce mobile est devenu de plus en plus populaire, permettant aux consommateurs d’effectuer des achats en ligne de manière pratique via des applications ou des sites web mobiles ;
– diversification des produits disponibles en ligne : en plus des produits électroniques et des biens de consommation courants, une diversification vers des secteurs tels que l’alimentation, la santé, et les services en ligne se fait remarquer ;
– croissance de l’économie informelle en ligne : de nombreux petits commerçants et entrepreneurs embrassant le e-commerce pour vendre leurs produits, contribuant ainsi à la croissance de l’économie informelle en ligne ;
– investissement dans la publicité en ligne : les entreprises augmentent leurs dépenses publicitaires en ligne pour atteindre efficacement les clients, en utilisant des stratégies telles que le marketing digital et les médias sociaux.
Toutes ces tendances reflètent une évolution dynamique du e-commerce au Cameroun, offrant de nouvelles opportunités pour les entreprises et les consommateurs.
Alors que le e-commerce de détail représente plus de 20% du commerce mondial avec une part au PIB de plus de 30% (cumulé avec le e-commerce de gros), le continent africain ne contribue que pour moins de 3% à ce volume. Comment expliquez-vous cet écart ?
La faible contribution de l’Afrique au volume du commerce mondial peut s’expliquer par plusieurs facteurs :
– Infrastructures insuffisantes : de nombreuses régions africaines souffrent d’infrastructures sous-développées, telles que des routes, des ports et des réseaux de transport inefficaces, ce qui entrave la capacité des pays africains à exporter et importer efficacement des biens ;
– Barrières commerciales : les barrières commerciales, telles que les tarifs douaniers élevés, les restrictions à l’importation et à l’exportation, ainsi que la complexité des procédures douanières, limitent les échanges commerciaux avec d’autres régions du monde ;
– Fragmentation du marché : le marché africain est souvent fragmenté en de multiples petites économies nationales, ce qui rend difficile la création de marchés régionaux intégrés et la réalisation d’économies d’échelle ;
– Dépendance vis-à-vis des matières premières : de nombreux pays africains dépendent fortement de l’exportation de matières premières non transformées, ce qui les expose aux fluctuations des prix mondiaux des matières premières et limite leur diversification économique ;
– Manque de compétitivité : les entreprises africaines peuvent souffrir d’un manque de compétitivité en raison de contraintes telles que des coûts de production élevés, un accès limité au financement, et des niveaux de productivité relativement bas ;
– Instabilité politique et économique : l’instabilité politique et économique dans certaines régions africaines peut dissuader les investissements étrangers et nuire à la croissance économique, ce qui limite les opportunités commerciales.
Pour surmonter ces défis et augmenter la contribution de l’Afrique au commerce mondial, des efforts sont nécessaires pour améliorer les infrastructures, réduire les barrières commerciales, encourager l’intégration régionale, diversifier les économies et promouvoir un environnement commercial favorable à l’investissement et à la croissance économique.
En 2018, le Cameroun était classé parmi les 10 meilleures nations e-commerce en Afrique, mais aujourd’hui, il ne figure même plus dans le top 30. Quels sont les facteurs qui expliquent cette régression ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la régression du Cameroun dans le classement des meilleures nations de e-commerce en Afrique. L’on peut citer :
– L’infrastructure numérique limitée : malgré des progrès, le Cameroun continue de faire face à des défis en matière d’infrastructures numériques, tels que l’accès limité à internet et les services de télécommunications de qualité inégale, ce qui freine le développement du e-commerce ;
– Barrières réglementaires : les réglementations camerounaises sont quelque peu restrictives et même ambiguës car on y retrouve encore certains obstacles juridiques et administratifs pour les entreprises et les consommateurs, ce qui a quelque peu entravé la croissance du e-commerce ;
– Problème de paiement en ligne : les défis liés aux paiements en ligne, tels que le manque de confiance des consommateurs dans les systèmes de paiement en ligne et les limitations des options de paiement disponibles, ont pu freiner et continue de freiner l’adoption du e-commerce ;
– Sécurité des transactions en ligne : les préoccupations concernant la sécurité des transactions en ligne, telles que le risque de fraude et de cybercriminalité, continuent de dissuader les consommateurs de faire des achats en ligne ;
– Concurrence régionale : la montée en puissance d’autres économies africaines dans le domaine du e-commerce a entraîné une compétition accrue pour le Cameroun, ce qui a dû influencer sa position dans le classement ;
– Faible sensibilisation et confiance des consommateurs : la sensibilisation limitée au e-commerce et la méfiance envers les transactions en ligne ont limité l’adoption du e-commerce par les consommateurs camerounais, ce qui affecte et continue d’affecter la croissance du secteur.
Quelles sont les actions entreprises par le gouvernement pour aborder ces défis et quelles perspectives d’amélioration peut-on envisager ?
Pour aborder ces défis et améliorer sa position dans le classement et favoriser le développement du e-commerce, le Cameroun envisage des mesures telles que l’amélioration de l’infrastructure numérique, l’adoption de réglementations favorables au e-commerce, le renforcement de la sécurité des transactions en ligne, et des campagnes de sensibilisation pour promouvoir la confiance des consommateurs dans le commerce électronique.
Quels sont les projets en cours au sein de votre département ministériel pour promouvoir et soutenir le développement de l’e-commerce au Cameroun ? Est-ce qu’il y a des initiatives de collaboration et de partenariat avec le secteur privé ?
Pour promouvoir et soutenir le développement du e-commerce au Cameroun, le MINCOMMERCE a engagé le processus de révision du cadre réglementaire sur le commerce électronique au Cameroun afin de l’adapter aux évolutions mondiales dans ce domaine. En effet, la loi n° 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun, a pu adresser certains problèmes juridiques relatifs aux transactions électroniques, notamment l’identification des intervenants, l’intégrité des contenus échangés, la confidentialité des communications, la responsabilité des prestataires intermédiaires à raison des contenus véhiculés ou hébergés, mais a omis un aspect important à savoir le paiement en ligne et la sécurité y relative.
La nouvelle loi proposera des pistes pour combler cette lacune. Les travaux liés à sa révision donnent l’occasion de revisiter le cadre du contrat de commerce électronique pour mieux l’adapter aux évolutions intervenues dans le domaine du commerce par voie électronique. Ainsi, la sécurité du paiement en ligne et les différents modes qu’il peut revêtir seront encadrés afin d’éviter que l’argent de l’acheteur ne disparaisse ou ne soit pas adressé au bon bénéficiaire.
Le MINCOMMERCE a amorcé depuis 2020, en relation avec le Secrétariat du Commonwealth, le projet de formation et de renforcement des capacités des femmes sur le commerce électronique et le marketing digital.
Dans le cadre de sa mission de promotion des produits locaux, le MINCOMMERCE a développé et opérationnalisé depuis avril 2023, une plateforme gouvernementale de promotion en ligne des produits ‘’made in Cameroon’’. Bien qu’elle constitue une vitrine d’exposition pour les produits locaux, cette plateforme digitale n’est pas à caractère commercial.
Elle demeure juste une vitrine des produits MIC en ligne, ceci dans l’optique d’éviter une distorsion à la concurrence au détriment des plateformes privées de e-commerce. Aussi, elle se veut être un partenaire de ces dernières.
Des concertations seront organisées entre le MINCOMMERCE et les promoteurs des plateformes de commerce électronique et du commerce numérique pour renforcer les échanges entre l’administration du commerce et le secteur privé du digital.
Avez-vous un message à transmettre aux acteurs actuels et potentiels du secteur de l’e-commerce au Cameroun et en Afrique ?
Aux acteurs actuels et potentiels du secteur de l’e-commerce au Cameroun, je voudrais leur rassurer de ce que le Gouvernement et particulièrement le Ministère du Commerce reste ouvert pour les accompagner à renforcer leur présence sur le territoire national en leur accordant tout appui institutionnel.
Je les invite à se rapprocher de notre administration pour non seulement se faire enregistrer au fichier des e-commerçants ouvert à cet effet, mais également de pouvoir profiter des mesures d’accompagnement des opérateurs œuvrant dans ce domaine.