Certaines carrières s’écrivent loin des projecteurs, mais leur impact n’en est pas moins déterminant. C’est le cas de Hubert MONTHE, un ingénieur camerounais qui a su s’imposer comme un acteur clé chez Schlumberger, où il dirige des projets innovants. À son poste de Completion Global Embedded Software Manager, il conçoit des vannes électriques intelligentes pour extraire du pétrole de manière plus efficace et respectueuse de l’environnement.
Mais Hubert MONTHE c’est aussi une autre facette : celle d’un passionné de basketball, qui trouve encore le temps, malgré ses responsabilités, d’arbitrer des matchs sur le parquet, nourrissant ainsi une vocation sportive qu’il a caressée dans sa jeunesse.
Comment expliquer à son enfant de sept ans, la conception de vannes intelligentes placées à des kilomètres sous terre ? Quels détours inattendus l’ont conduit à un poste stratégique au Brésil ? Comment transformer les détours de la vie en leviers d’ambition ?
Autant de questions auxquelles il répond, avec l’humilité de ceux qui construisent, loin des regards, les industries de demain.
Pour commencer, parlez-nous de vous. Que doit-on savoir sur Hubert MONTHE ?
Pour me présenter, imaginez un arbre dont les racines plongent au Cameroun, le tronc s’élève en France, et les branches s’étendent jusqu’au Brésil. Né et élevé au Cameroun, c’est là que j’ai passé toute mon enfance, ancré dans une culture riche et formatrice. Ma vie de jeune adulte a pris forme en France, où je me suis installé pour poursuivre mes études universitaires. C’est également en France que j’ai fait mes premiers pas dans le monde professionnel, en rejoignant en 2008, le département Recherche et Développement de SLB (Schlumberger)
Pendant plus de dix ans, j’y ai construit et solidifié mon expertise dans le domaine des logiciels embarqués, formant ainsi le tronc robuste de mon parcours. En 2020, avec une expérience et une maturité professionnelles bien établies, on m’a confié une mission stimulante : créer un nouveau centre de R&D au Brésil, étendant ainsi les branches de mon savoir-faire dans une nouvelle région du monde.
Je suis une personne curieuse, passionnée par le sport, les Arts, et la connaissance sous toutes ses formes. Si, enfant, j’avais eu l’opportunité de faire trois vœux en frottant une lampe magique, voici ce que j’aurais choisi : devenir joueur de basket professionnel, être batteur dans un groupe, et enfin, devenir un scientifique reconnu.
Aujourd’hui, je suis Chef de Projets dans le domaine du logiciel embarqué. Je joue toujours au basket, avec l’espoir – peut-être un peu fou – de devenir un jour professionnel [RIRES], et je fais de la batterie à mes heures perdues. Quant à ma passion pour la connaissance, elle est intacte. Je continue d’apprendre chaque jour, explorant des sujets aussi variés que les sciences, l’histoire, la musique ou les enjeux de société.
Quel a été le point décisif de votre carrière qui vous a orienté vers la gestion de projets de logiciels embarqués dans le domaine du pétrole et du gaz ?
Pour être honnête, l’enfant de Douala qui a quitté son pays en 2003 n’a jamais planifié de se former à la gestion des logiciels embarqués dans le domaine du pétrole. Mon parcours a été marqué par une série d’événements parfois déconnectés et souvent espacés dans le temps, qui ont influencé ce choix de manière consciente ou inconsciente.
Tout a commencé avec mon choix d’une formation en électronique. J’ai toujours admiré ces professionnels indépendants capables de réparer des téléviseurs ou des radios à domicile. Leur ingéniosité et leur savoir-faire me fascinaient. C’est au cours de cette formation que j’ai découvert la spécialisation en logiciels embarqués.
J’ai tout de suite été séduit par ce domaine, un savant mélange d’électronique (hardware) et de logiciel (software). Par exemple, dans les voitures modernes, les capteurs et systèmes électroniques optimisent la gestion du moteur, tandis que le logiciel embarqué agit comme le cerveau, coordonnant les différentes parties du système, à l’image du fonctionnement du corps humain.
J’ai toujours entendu parler du secteur du pétrole et du gaz, car mon oncle, également prénommé Hubert, y a fait toute sa carrière. Pourtant, je n’avais jamais envisagé consciemment de travailler dans ce domaine. L’élément déclencheur a été un forum de stages où j’ai découvert que la conception et la construction de plateformes pétrolières, capables d’extraire du pétrole à plus de 10 km sous terre, nécessitent des avancées technologiques majeures. Cette découverte m’a conduit à débuter un stage d’ingénieur dans le département R&D de SLB.
La morale de l’histoire ? Rester curieux et garder l’esprit ouvert. La vie nous fait souvent emprunter des chemins inattendus, mais c’est dans ces détours que résident les opportunités les plus enrichissantes.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de projets sur lesquels vous travaillez actuellement?
Actuellement, je travaille sur des projets visant à digitaliser et électrifier les puits de pétrole. Plus précisément, mon équipe et moi développons et installons des vannes électriques intelligentes, des équipements conçus pour être placés de façon permanente à plusieurs kilomètres sous terre, avec une durée de vie dépassant les 20 ans.
Ces vannes permettent de gérer en temps réel, le flux des hydrocarbures tout en offrant des capacités avancées de contrôle et de surveillance à distance. Intégrées à des systèmes numériques, elles optimisent l’efficacité des opérations et contribuent à réduire de manière significative l’empreinte environnementale des activités d’extraction.
Les projets sur lesquels vous travaillez semblent complexes. Comment expliquez-vous à vos proches ou à vos enfants, ce que vous faites au quotidien ?
Récemment, mon fils de 7 ans m’a posé une question qui, en y repensant, peut-être me préparait-il à cette interview ? [Rires]
À votre avis, combien de robots l’Homme a-t-il envoyés sur Mars ? Maintenant, rapprochons-nous un peu : combien de robots l’Homme a-t-il envoyés au centre de la Terre de façon permanente, sans possibilité d’y accéder pour effectuer des réparations ou de la maintenance ?
Mon travail s’apparente à cette seconde question. Je conçois des vannes intelligentes pour extraire du pétrole de manière plus efficace et respectueuse de l’environnement. Dans un puits de pétrole, une vanne, c’est un peu comme un robinet chez vous. Tout comme un plombier transporte l’eau d’un point A à un point B dans une maison, notre rôle est de transporter le pétrole ou le gaz du centre de la Terre jusqu’à la surface.
Aujourd’hui, avec les techniques d’extraction conventionnelles basées sur l’énergie hydraulique, nous ne récupérons qu’environ 25 % du pétrole contenu dans un réservoir. Cela signifie qu’une grande partie reste inaccessible. L’innovation sur laquelle mon équipe et moi travaillons consiste à développer des vannes électriques intelligentes. Ces vannes pourraient augmenter le taux de récupération à 27 %, tout en utilisant de l’énergie électrique issue de sources renouvelables.
Ce progrès aurait un double effet : améliorer la rentabilité économique et rendre l’extraction pétrolière beaucoup moins carbonée. En d’autres termes, nous cherchons à transformer un secteur complexe et crucial en une industrie plus durable et responsable.
Peu de Camerounais travaillent sur des projets d’une telle ampleur au Brésil. Comment avez-vous réussi à vous faire une place dans cet environnement ?
C’est un mélange de travail et d’opportunités. Comme je l’ai mentionné au début de l’entretien, j’ai consolidé plus de 10 ans d’expérience en France, en contribuant au développement de plusieurs technologies innovantes. J’ai également eu la chance de voyager et de collaborer avec des équipes aux quatre coins du monde : États-Unis, Angleterre, Canada, Brésil, Allemagne, Japon, pour n’en citer que quelques-uns. J’ai aussi participé à des installations technologiques qui étaient des premières mondiales dans notre industrie, notamment en Arabie Saoudite et au Qatar.
Ces expériences, marquées par des voyages et des collaborations enrichissantes, m’ont permis de renforcer ma visibilité et ma crédibilité. Une erreur que j’ai appris à éviter est de penser que son travail parle de lui-même et qu’il n’est pas nécessaire d’en parler. Un collègue m’a un jour rappelé une vérité essentielle : « Il ne suffit pas de bien faire les choses, il faut aussi savoir montrer qu’on les fait. »
Enfin, il est crucial de comprendre que la visibilité ne se limite pas à son cercle habituel. Elle consiste à partager ses réalisations avec des personnes extérieures à son réseau direct, car c’est souvent là que surgissent les meilleures opportunités. Pour moi, la « chance » c’est quand le travail rencontre l’opportunité.
Quelles sont les technologies ou innovations récentes dans le pétrole et le gaz qui, selon vous, pourraient changer le secteur dans les années à venir ?
L’électrification et la digitalisation des puits de gaz et de pétrole vont transformer profondément le secteur. Une récente étude de l’institut Rystad prévoit que le pic de la demande de pétrole sera atteint d’ici 2030. Pendant longtemps, l’idée que les réserves de pétrole et de gaz étaient infinies a dominé les esprits. Aujourd’hui, nous savons qu’il devient de plus en plus rare de découvrir de nouvelles réserves, ce qui signifie qu’il faudra apprendre à optimiser l’exploitation de ressources actuelles.
Le digital jouera un rôle clé en permettant à l’industrie de maximiser l’extraction des réserves grâce à des décisions mieux informées, basées sur l’analyse des données. De son côté, l’électrification contribuera à la décarbonation du secteur en intégrant des sources d’énergie renouvelables dans les opérations.
En parallèle de ces efforts, mon équipe et moi travaillons également sur l’intégration de l’intelligence artificielle pour optimiser la prise de décision et rendre les processus encore plus performants.
On dit souvent que la R&D, c’est “essayer, échouer, réessayer”. Quelle a été votre plus grande réussite ou le moment dont vous êtes le plus fier jusqu’ici ? Et votre plus gros échec, si vous en avez un ?
Comme l’a si bien exprimé M. Omar Okalay : « La condition nécessaire du progrès humain réside dans la conservation des connaissances accumulées, terroir sur lequel se développent les connaissances nouvelles. » La Recherche et Développement, c’est “essayer, échouer, réessayer”, mais c’est surtout apprendre de ses échecs, créer de nouvelles connaissances, expérimenter à nouveau, et transmettre le fruit de cet apprentissage aux générations futures.
Ma plus grande réussite ? Avoir bâti, à partir d’une page blanche, un pôle d’excellence dédié au développement de logiciels embarqués pour l’électronique de longue durée. Cela illustre parfaitement une autre vérité que j’aime rappeler : « Pour trouver sans chercher, il faut avoir longtemps cherché sans trouver. »
La Recherche et Développement, c’est une quête qui nous pousse à emprunter des chemins inexplorés. Se tromper de voie n’est pas un échec, bien au contraire : l’essentiel est de reconnaître l’erreur, d’en tirer des enseignements et de transformer cette expérience en savoir, qui nous rapproche un peu plus du bon chemin.
Cette philosophie n’est pas seulement une approche professionnelle, c’est aussi une leçon de vie. Mon travail m’a appris à persévérer dans l’incertitude, et cette persévérance, je l’ai appliquée à ma vie personnelle. À l’inverse, les enseignements de la vie m’ont aussi enrichi dans ma manière d’aborder mon métier.
Quelles sont les compétences indispensables pour réussir dans un rôle comme le vôtre ? Y a-t-il des qualités qu’on ne soupçonne pas forcément ?
Une qualité souvent sous-estimée dans mon rôle est le management interculturel. À ma position, je supervise le développement de programmes internationaux impliquant des centres de Recherche et Développement en France, aux États-Unis, et bien sûr au Brésil.
Innover nécessite de créer une culture où la collaboration et les échanges entre individus sont les plus fluides possibles. Cela implique de comprendre comment chaque personne pense, agit, et atteint ses objectifs en fonction de sa culture. Cette capacité à décoder et harmoniser les différences culturelles est essentielle pour garantir le succès des projets.
Dans mon rôle, les compétences techniques sont indispensables, mais elles ne suffisent pas. Trois compétences clés font réellement la différence :
1. Le refus du fatalisme : L’esprit humain a du mal à concevoir ce qui n’existe pas encore. Si tout le monde trouve que votre idée est faisable, c’est qu’elle n’est probablement pas assez innovante.
2. La confiance en soi et en les autres : Pour créer les conditions où la contribution collective dépasse largement la somme des contributions individuelles.
3. L’initiative personnelle : Être capable de passer à l’action tout en restant un rêveur pratique.
Quels sont, selon vous, les défis les plus importants auxquels les professionnels noirs sont confrontés dans le milieu industriel brésilien ?
Le plus grand défi, c’est celui de la différence. Ce défi peut prendre des formes variées, mais les fondamentaux restent les mêmes, que l’on soit Africain en Europe, aux États-Unis ou en Asie, ou que l’on soit Occidental travaillant en Afrique.
Au Brésil, la situation est particulière. Plus de 50 % de la population est noire ou métissée, mais on trouve très peu de personnes noires ou de femmes à des postes de responsabilité. Les entreprises du secteur pétrolier et gazier ont commencé à s’attaquer à ce problème avec des initiatives en faveur de la diversité et de l’inclusion, mais beaucoup de chemin reste encore à parcourir.
Pour ma part, je considère cette différence comme une force. Dans une salle de réunion, il est plus facile de me remarquer, et il devient aussi plus simple de se souvenir de la qualité de mon travail, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Cela implique une responsabilité : je dois produire un résultat supérieur aux attentes. Car, si un local peut offrir la même qualité de travail, pourquoi faire appel à un étranger ?
Entre 2012 et 2015, vous avez officié comme arbitre de basketball en région parisienne. D’où vous est venue cette passion pour l’arbitrage ?
Quand votre passion vous met à la porte, vous revenez par la fenêtre [Rires] ! Passionné de basket, je n’ai jamais eu le talent pour évoluer en compétition à haut niveau. Devenir arbitre pour la FFBB a donc été une excellente manière de rester proche des professionnels et de jouer un rôle actif dans la compétition… mais depuis le bord du terrain.
Voyez-vous des parallèles entre le rôle d’un arbitre et votre travail en recherche et développement ?
La première leçon que l’on apprend dans la formation d’arbitre, c’est que les stars, ce sont les joueurs. Le rôle de l’arbitre est de créer un environnement où les athlètes peuvent s’exprimer pleinement et où les spectateurs profitent d’un spectacle équitable.
En Recherche et Développement, c’est un peu la même chose : les stars, ce sont les équipes, et les supporters, ce sont nos clients. Notre mission est de créer les conditions qui permettent à nos équipes de développer des produits innovants répondant réellement aux besoins des clients.
Comme dans le sport, il est facile de juger la performance d’un produit technologique sur le long terme. Et tout comme en arbitrage, la vigilance est essentielle à chaque instant : vous pouvez avoir un excellent parcours, mais une seule erreur dans un moment décisif peut suffire à perdre la confiance des équipes ou des clients. En Recherche et Développement, il ne faut donc jamais se reposer sur ses lauriers, sous peine de voir partir ses meilleurs talents… et ses clients.
Le secteur du pétrole et du gaz reste mystérieux pour beaucoup de jeunes Africains. Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent se lancer dans cette industrie ?
Les difficultés d’accès à une énergie fiable et abordable sont un enjeu mondial, et les jeunes Africains en sont les premiers témoins dans leur quotidien. Ils comprennent mieux que quiconque ce que cela représente.
Une façon de s’approprier cette problématique est de s’engager dans le secteur de l’énergie ou de s’informer sur les défis posés par la transition énergétique, tant pour le monde en général que pour l’Afrique en particulier.
Pour ceux qui souhaitent intégrer l’industrie pétrolière et gazière, il est important de savoir que notre secteur s’efforce de relever un défi majeur : résoudre le trilemme énergétique, à savoir fournir une énergie fiable, abordable et durable. La transition énergétique reposera avant tout sur le génie humain et l’innovation technologique.
Pour continuer à innover, notre industrie a besoin de personnes capables d’apporter des perspectives différentes et des façons de penser originales. Mon conseil : puisez dans les richesses de votre culture tout en restant ouverts au monde. La culture africaine, encore peu connue sur la scène internationale et parfois même par les Africains eux-mêmes, constitue une source d’inspiration unique. Elle est à portée de main pour tous les fils et filles de l’Afrique, qu’ils soient nés sur le continent ou ailleurs.