« La confiance est ce qu’il y a de plus précieux et de plus fragile avec la diaspora » : Samir Bouzidi

L’Afrique aux couleurs de sa diaspora : Entretien avec Samir Bouzidi, fondateur d’Impact Diaspora

Samir Bouzidi fait partie de ces acteurs discrets mais dévoués à une cause qui prend de l’ampleur : faire des diasporas africaines un levier de développement pour le continent. Fondateur d’Impact Diaspora, une startup installée à Dakar avec une filiale ouverte récemment à Marseille, Samir Bouzidi revendique plus de 17 années d’expérience internationale en ethnomarketing et conseil stratégique en engagement des diasporas du Maghreb, Afrique subsaharienne et Océan Indien.

Sa mission : rapprocher les diasporas de leurs villes d’origine à travers des programmes innovants, dont le dernier en date, InvestInDiaspora, connaît un succès prometteur.

Conseiller de plusieurs start-ups françaises et africaines de la fintech, Samir s’appuie sur des approches avant-gardistes, mêlant Ethnomarketing, intelligence artificielle et stratégie digitale pour insuffler un nouvel élan aux initiatives locales, en collaboration avec l’Association internationale des Maires Francophones. Nous l’avons rencontré !

Bonjour Samir, commençons par l’essentiel : Impact Diaspora. Une présentation en quelques mots ?

Impact Diaspora est une startup créée à Dakar en 2020 avec une nouvelle filiale à Marseille (France) en fin 2023. Elle est spécialisée en mobilisation 2.0 des diasporas africaines suivant une expertise centrée sur l’ethnomarketing, IA et digital, data.

Avec notre programme « Investindiaspora » (transfert de compétences vers les villes africaines), nous travaillons dans 22 pays et aux cotés de 100 villes africaines qui ont l’ambition de mobiliser leur diaspora.

Vous venez de lancer InvestInDiaspora, un programme incitant la diaspora africaine à participer activement au développement des territoires de leur pays d’origine. D’où vient cette idée ?

L’idée vient de notre connaissance approfondie des diasporas et des écosystèmes africains. Nous savons que les diasporas sont d’abord attachées à leurs communautés et territoires d’origine. Par ailleurs, dans beaucoup de pays africains la relation entre diasporas et administrations centrales (Ministères…) dans les capitales est faite de défiance.

En substance, les maires et les mairies, acteurs de proximité, ont un leadership à cultiver auprès de la diaspora. Et ces derniers savent qu’ils peuvent aller chercher auprès des diasporas, les ressources qui leur manquent pour leur développement : investissement, compétences, dons…

Pourquoi avoir commencé par des villes comme Bafoussam ? Quels critères font d’une ville un terrain idéal pour accueillir ce type d’investissement ? Et surtout, comment convaincre la diaspora d’y croire autant que vous ?

Le choix de Bafoussam dans les premières villes du programme s’est imposé naturellement. La ville et région est le fief de la puissante diaspora bamiléké, restée très ancrée à son territoire d’origine. La ville via son Maire Roger TAFAM entreprend déjà beaucoup d’actions vis-à-vis de la diaspora (forum, visites à l’étranger…)

Convaincre la diaspora d’investir est une action de temps long qui démarre avec de la confiance, de la reconnaissance et une montée en compétences des écosystèmes dans les pays d’origine.

La confiance est ce qu’il y a de plus précieux et de plus fragile avec la diaspora. Cette confiance se bâtit à partir de signaux forts et faibles envoyés à la diaspora.

 La campagne « Invest in diaspora » s’inscrit dans ce cadre avec ce message fort « Vous, la diaspora, vous êtes des partenaires stratégiques pour le développement de Bafoussam ».

Quelques mois après le chapitre de Bafoussam, avez-vous vu des retombées tangibles pour la région et le pays ?

Avec la campagne Invest in Bafoussam, nous avons généré près de 200 demandes d’investissement et autres contributions (formation, dons…) auprès de la diaspora. La ville est entrain de contacter un par un les contributeurs et tous devraient être invités au prochain forum de la diaspora. La ville a pris conscience qu’elle doit davantage s’organiser pour adresser les demandes massives de la diaspora.

Si vous deviez refaire ce projet à Bafoussam, qu’est-ce que vous changeriez ? Y a-t-il eu des défis ou des résistances qui vous ont surpris ?

Au niveau de l’engagement politique et la motivation du personnel pour engager la diaspora, Bafoussam est clairement dans ce que nous avons vécu de plus accompli parmi les cinquante villes africaines que nous avons commencées à accompagner. Il manque certainement des moyens techniques (digital…) et une organisation plus dédiée à la diaspora car la diaspora a des exigences singulières.

En termes de priorité, on pourrait penser à l’installation d’un point focal diaspora auprès de la Mairie, interlocuteur central pour les projets et les problèmes de la diaspora. C’est l’une des recommandations faites au Maire !

Vous ciblez plusieurs pays pour InvestInDiaspora, notamment la Côte d’Ivoire, le Mali, le Burundi, le Sénégal, et la Tunisie. Pourquoi ces pays ?

Le potentiel de la diaspora en Afrique est considérable. Aujourd’hui, les transferts d’argent des diasporas représentent selon les pays, de 2 à 34% du PIB alors que ces transferts se composent très majoritairement d’aides aux familles. Imaginez demain avec plus d’investissements, d’épargne, transferts de compétences, soutien à l’internationalisation…

Avec Invest in diaspora, notre objectif est déjà de démontrer à des acteurs africains clés qu’au prix d’une démarche plus fine, on peut arriver à mieux engager la diaspora. Nous sommes avant tout là pour déconstruire autour de l’image et potentiel de la diaspora mais surtout de démontrer qu’on peut y arriver si on adopte la bonne stratégie.

On observe que les Ivoiriens de l’étranger sont de plus en plus impliqués dans le développement de leur pays d’origine. À quoi attribuez-vous cette dynamique ? Est-ce simplement une volonté de retour aux sources ?

Les retours des Ivoiriens de l’étranger sont des flux organiques dans le sens où ils ne sont pas majoritairement le fruit d’une stratégie publique de l’Etat ivoirien. Les principaux facteurs de cette tendance tiennent au profilage particulier de la diaspora ivoirienne composée de beaucoup de « transitoires » (cf. notre modélisation des diasporas).

Ces derniers étant partis suite aux tristes évènements qu’a connu le pays avec l’idée de revenir à la première fenêtre d’opportunité et de stabilité. Plus largement, la Côte d’Ivoire, exerce une forte attractivité réelle ou perçue auprès de sa diaspora et des autres diasporas africaines.

D’ailleurs beaucoup de Camerounais de la diaspora s’installent en Côte d’Ivoire. A l’actif du gouvernement ivoirien, la volonté de pacification de la diaspora où les clivages politiques et ethniques étaient exacerbés

Dans quels secteurs observez-vous le plus d’intérêt de la part de la diaspora ivoirienne ?

Comme toute diaspora africaine qui renoue avec son pays d’origine, les deux premiers besoins sont le tourisme et l’immobilier. Le tourisme pour se réapproprier sa culture, renforcer ses liens et réseaux et aussi identifier les opportunités économiques à saisir. L’immobilier pour des besoins fonctionnels (pied-à-terre…) et démontrer sa réussite sociale à sa famille et sa communauté.

Dans l’investissement, la diaspora ivoirienne se montre particulièrement dynamique dans les secteurs comme les services aux entreprises, la finance, la tech, l’agrobusiness, loisirs et tourisme, transport…

Si la diaspora se montre prête à investir, elle rencontre aussi de nombreux obstacles : complexité administrative, coût d’investissement, manque de visibilité… Elle est parfois vu aussi comme une menace politique. Comment Diaspora Impact entend-il les épauler face à ces difficultés ?

Dans les pays africains où l’on exerce, on procède systématiquement à la déconstruction des clichés voire du risque perçu autour de la diaspora. Lors de nos formations, on déroule par exemple les 5 segments constitutifs d’une diaspora. Ensuite, nous relayons dans les médias et au cours de rencontres que nous pouvons avoir avec des ministres ou leurs conseillers.

Récemment au Congo, nous avons expliqué à nos hôtes que toute la diaspora congolaise ne pouvait se résumer aux « Indignés » (l’un de nos 5 segments). Et par ailleurs ces « indignés » devaient être pris en charge selon un mode plus apaisé et constructif au nom de l’intérêt national.

Quelles sont les ambitions de Impact Diaspora avec le programme InvestInDiaspora ? Envisagez-vous d’étendre ce programme à d’autres pays ou d’élargir le champ des villes couvertes ?

L’ambition du programme va s’étendre à DiasporIA qui vise à aider les villes africaines à mieux prendre en charge les demandes spécifiques de la diaspora via des Chat GPT AI

+ d’infos : DiasporIA

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