” Le principal objectif de Jumia est de devenir une entreprise rentable rapidement “

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Jumia fait du e-commerce 100% local et cela aujourd’hui fonctionne très bien

Jumia Group, le géant africain du commerce en ligne, se livre dans sa première grande interview de l’année avec Abdesslam Benzitouni, son Vice-Président, Directeur de la Communication et des Relations Publiques. Alors que l’entreprise célèbre 12 ans de présence sur le continent, Benzitouni expose la trajectoire de ce secteur depuis l’arrivée des géants du commerce en ligne, les défis rencontrés et les chantiers à venir pour l’entreprise.

Après 12 ans d’activité, quel bilan faites-vous de la présence de Jumia sur le continent africain ?

Il y a 12 ans, avant Jumia, il n’y avait pas d’e-commerce en Afrique. Aujourd’hui, c’est plus qu’une réalité. Cette nouvelle forme d’économie a apporté des opportunités nouvelles aux entreprises pour grandir et se développer, apporter des solutions quotidiennes aux besoins de millions de consommateurs et aux communautés locales. 

Cela a permis à des entreprises de logistique de se développer. Tout cet écosystème est une opportunité importante pour la création d’emplois, notamment les femmes et les jeunes. On estime que Jumia a réussi à créer plus d’un demi-million d’emplois indirectement. Selon une étude du BCG, les marketplace en ligne peuvent créer 5 millions d’emplois en 2025.

12 ans après, Jumia est toujours là, il y a une transaction toutes les 2 secondes.  Toujours leader, malgré les immenses défis – et la route encore longue – car l’e-commerce n’est qu’à ses débuts sur le continent.

Quel est votre avis sur l’évolution du marché du e-commerce et, plus généralement, des technologies numériques en Afrique ?

L’e-commerce évolue plutôt positivement en Afrique. Aujourd’hui, nous voyons plusieurs start-up technologiques qui se sont lancées dans l’e-commerce, la fintech ou la logistique. Certains pays sont plus dynamiques et leader sur le continent comme le Kenya, le Nigeria mais d’autres commencent à suivre le mouvement. Aussi, les paiements mobiles se sont accrus et cela favorise le développement du e-commerce. 

De plus en plus de consommateurs africains sont ouverts à utiliser les différents services fournis en ligne. Ces start-up apportent des solutions concrètes à des consommateurs qui ont des besoins importants. La classe moyenne se développe, la jeunesse est très connectée, les économies sont en pleine croissance, tout cela crée aussi des demandes nouvelles, des opportunités pour ces start-up technologiques.

Jumia a connu des changements importants ces dernières années, comme des départs de certains pays et la fermeture de certaines activités, notamment la filiale du tourisme. Pouvez-vous nous expliquer les raisons derrière ces décisions et leur impact sur la stratégie globale de l’entreprise ?

Jumia a été le pionnier de l’e-commerce en Afrique, il fallait créer une culture économique nouvelle, l’adoption d’une nouvelle manière d’acheter en ligne, créer une technologie unique, une plateforme logistique pour la livraison là où certains contextes locaux du dernier kilomètre sont parfois très compliqués (pas d’adresse, pas de route asphaltés), apporter des solutions de paiement à une population largement non bancarisée. 

Il a fallu essayer différentes choses et voir si cela fonctionne ou pas. Comme toute start-up au début, Jumia a essayé de diversifier en offrant des nouveaux services, peut-être parfois trop rapidement, cela n’a pas toujours fonctionné mais parfois ça fonctionne très bien.

Le plus important c’est d’apprendre de ces expériences, d’être pragmatique et d’être toujours concentré sur notre premier métier, l’e-commerce de biens physiques où Jumia est leader.

Le capital dont dispose une entreprise n’est pas illimité et toute entreprise doit prendre des décisions les plus pertinentes pour être rentable et se développer. C’est pourquoi nous avons fait des choix pour optimiser nos coûts et améliorer notre performance là où nous savons qu’on peut réussir. 2023 par exemple a été une année charnière où Jumia s’est transformée. 

Nous avons réduit nos pertes (plus de 90 % entre le dernier trimestre de 2023 et le 1er trimestre 2024 par exemple) et renforcé nos fondamentaux. Nous sommes aujourd’hui une entreprise plus solide, plus saine et nous sommes persuadés que Jumia peut grandir et nous le voyons déjà se dérouler dans plusieurs de nos pays. De plus, le potentiel de l’e-commerce reste encore énorme.

L’Afrique ne représente que moins de 5% du e-commerce mondial. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles et défis auxquels est confronté le e-commerce africain ?

Il y a 54 pays en Afrique, 54 cadres législatifs, 54 économies, 54 réalités. Il y a des pays qui sont un peu plus en avance en raison de chiffres macro-économiques. Mais en général, ça reste faible à cause de certains freins au développement de l’e-commerce en Afrique. Le commerce reste très majoritairement “offline” dans les boutiques de quartier, les marchés. 

Nous avons aussi des problèmes liés aux infrastructures routières qui sont inadéquates pour le transport des marchandises, le coût du last mile, le faible accès à Internet mais aussi les populations qui n’ont pas forcément la culture de l’e-commerce. Mais cela évolue positivement  depuis la pandémie en 2020 qui a mis en lumière le rôle de l’e-commerce pour notamment les vendeurs et les marques. Aujourd’hui, le développement de la 5G, la démocratisation des smartphones, le social commerce favorisent l’adoption de l’e-commerce. Et chez Jumia, nous le voyons aussi.

Jumia a été la première licorne africaine à intégrer Wall Street. Aujourd’hui, plusieurs autres entreprises ont également atteint ce statut. Comment expliquez-vous cette évolution apparente, pourtant les chiffres nous indiquent que nous restons très loin derrière les autres ?

Jumia a été la première licorne en 2017 et depuis, il y a plusieurs start-up qui se développent très bien en Afrique et qui ont atteint le statut de licorne. C’est très encourageant et cela confirme le dynamisme de tout un continent et renvoie une image positive pour les investisseurs. 

Le contexte local est parfois difficile pour certaines start-up technologiques, quand on voit la situation macro économique en Egypte ou au Nigeria avec la dévaluation de la monnaie, le FOREX, l’inflation, il faut être solide.  

Ces dernières années, les levées de fonds se sont ralenties car les capitaux internationaux sont moins abondants et encore moins sur le continent. Il y a encore très peu d`investisseurs en Afrique et quand ils existent, les chiffres investis sont souvent inférieurs aux investisseurs internationaux.  La diaspora joue un rôle aussi important car elle peut contribuer à créer un lien avec le pays d’origine en investissant.

Certains médias et experts prédisent de plus en plus la fin du e-commerce en Afrique. Quel est votre avis sur ce sujet et quelles sont les mesures prises par Jumia pour s’adapter à ces défis ?

L’e-commerce a un bel avenir en Afrique. Selon la GSMA, nous pourrions avoir d’ici 2025 61% de connexion à internet en Afrique via les smartphones (dont 33% via la 4G) et un demi-milliard d’utilisateurs potentiels du commerce électronique selon la CNUCED.

Aussi chez Jumia, on voit que l’e-commerce est extrêmement pertinent en zones secondaires et rurales en Afrique. En Côte d’Ivoire, plus de 50 % des commandes proviennent de ces zones rurales.

L’e-commerce apporte une solution concrète à des communautés qui n’avaient pas beaucoup de choix de produits, souvent 5 à 6 fois plus chers et parfois indisponibles sur place. L`e-commerce n’est pas un confort d’achat comme on pourrait le croire mais une véritable solution pour ces communautés.

Le fondateur de Wasoko a déclaré dans une interview que le modèle économique d’Amazon, sur lequel la plupart des entreprises se basent, n’a aucun moyen de réussir en Afrique. Partagez-vous cet avis et est-ce que ça pourrait expliquer les retards observés ?

Pour que l’e-commerce fonctionne dans nos pays, il faut qu’il soit adapté au contexte local, à savoir une population faiblement bancarisée, une connexion en ligne encore faible ou instable, proposer des catégories de produits pertinentes, un marketing adapté et pas uniquement sur internet ou sur les réseaux sociaux. 

A Jumia, nous avons plus de 100.000 agents commerciaux qui rencontrent la population pour les aider à adopter l’e-commerce, en commandant à leur place ou en les accompagnant. Ces agents J-Force vont à la rencontre des consommateurs, même dans les zones les plus reculées

Nous avons un système logistique basé sur une présence physique forte à travers des milliers de Points de retrait dans tous les pays, des partenaires logistiques qui connaissent le contexte local. Jumia fait du e-commerce 100% local et cela aujourd’hui fonctionne très bien. Le développement de la 5G et des smartphones, ainsi que des infrastructures de base ne peuvent que l’encourager.

Quels sont les projets futurs et les nouvelles destinations prévues au sein de Jumia pour les prochaines années, ainsi que les stratégies d’expansion envisagées ? Un retour probable au Cameroun ?

Le principal objectif de Jumia est de devenir une entreprise rentable rapidement, avec des fondamentaux solides et une croissance soutenue dans les pays où l’on opère. Une fois cet objectif atteint (nous espérons l’atteindre rapidement), nous pourrons songer à aller vers d’autres pays et pourquoi pas, revenir au Cameroun où la marque est encore connue et y investir de nouveau. Le modèle de Jumia pourra ainsi être établie partout en répondant efficacement aux besoins des populations locales. En apportant une solution qui facilite la vie des consommateurs.

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