Avec sa gamme de madeleines, cookies et sablés à la farine de patate, BOBO se démarque en proposant des produits sans conservateurs, sans colorants et sans additifs.
Nous avons rencontré cette banquière devenue entrepreneure, qui n’a pas peur de mettre la main à la pâte pour faire de Bobo, une référence dans l’univers des biscuits naturels.
Adeline on a envie de dire que la citation de Confucius qui disait: “Nulle pierre ne peut être polie sans friction, nul homme ne peut parfaire son expérience sans épreuves”, correspond clairement à ton parcours. D’abord le retour au pays natal alors que tu étais en plein lancement de ta carrière dans l’hexagone, ensuite immersion dans l’entrepreneuriat alors que tu avais la sécurité des revenus au sein des multinationales qui t’employaient. Je résume bien la situation?
C’est une très jolie citation qui résume mon parcours effectivement. Je suis aujourd’hui le résultat des différentes frictions que j’ai connues. Elles n’ont pas toujours été joyeuses, mais la douleur est une composante inévitable de la vie, et la souffrance est optionnelle.
Je me rappelle encore la question du grand oral de l’école de commerce ESSEC : « Souhaites tu réussir ta vie ou souhaites tu réussir dans ta vie ? » J’avais balbutié une réponse sans grande conviction à l’époque. J’ai eu la réponse plusieurs années plus tard quand j’ai refusé un CDI dans la plus grande banque d’affaires d’Europe, et surtout quand je me suis lancée dans un CAP Boulanger en parallèle de mon boulot de banquière.
Ainsi, mes différents choix de carrière à l’étranger et au Cameroun sont sous-tendus par une quête de sens, saupoudrée d’une pincée d’afro-optimisme, un brin de d’afro-féminisme et une grosse cuillère de chauvinisme.
Pourrais-tu nous décrire quelques-uns des défis auxquels tu as dû faire face au cours de ton parcours entrepreneurial jusqu’à présent ?
Les défis sont pléthores et heureusement pour une entrepreneure comme moi qui préfère les ennuis, à l’ennui. BOBO est une marque premium de biscuits à base de farine locale que nous lançons en 2020.
La construction d’une marque comme BOBO est compliquée dans un environnement camerounais qui est dominé par les produits d’entrée de gamme. Les consommateurs n’ont pas été habitués à avoir un produit fabriqué localement de bonne qualité. Ils n’arrivent pas à concevoir que le « made in Cameroon » soit coûteux à produire et à distribuer sur l’ensemble du territoire national.
Notre biscuiterie n’a pas encore la taille adéquate pour rivaliser en coûts de production avec les multinationales d’où des prix plus élevés. De même, avoir les mêmes prix de vente à Yaoundé et à Garoua sachant que notre unité de production est basée à Douala relève, pour le moment, d’un mythe.
Les services des achats de certains supermarchés ont également des difficultés à comprendre le positionnement de BOBO. Ils ne conçoivent pas que BOBO, une marque camerounaise, puisse rivaliser avec des grandes marques internationales de cookies et madeleines. Ils sont toujours tentés à mettre tous les biscuits « made in Cameroon » dans le même linéaire, ce qui est une erreur en merchandising.
Ayant travaillé chez Jumia, une grande entreprise de commerce électronique en Afrique, quelles sont tes réflexions sur le potentiel du e-commerce dans la région et quels défis as-tu rencontrés ?
Avant d’arriver à Jumia, j’ai cru que les clients de l’e-commerce au Cameroun étaient concentrés dans les quartiers à fort revenus comme Bonapriso. J’ai été surprise de constater que je me trompais, le client-type de Jumia était le camerounais aux revenus modestes à la recherche du meilleur prix. Ceci illustre bien du grand potentiel de l’e-commerce au Cameroun avec la possibilité de désenclaver certaines zones.
Néanmoins, le développement de l’e-commerce n’est possible que si le réseau routier, aérien, fluvial s’améliore car l’e-commerce c’est de la logistique. Aujourd’hui, envoyer une télévision de 50 pouces de Douala à Maroua, à bon prix et en bon état, est quasi-impossible.
Penses-tu que l’entrepreneuriat est inné ou acquis ? Qu’est-ce qui motive les jeunes Camerounais ou Africains à se lancer dans l’entrepreneuriat, malgré les défis nombreux ?
Notre société a évolué au fil des années, mais il y a quelques siècles, nos ancêtres étaient tous des entrepreneurs dans des secteurs divers et variés. Il n’y avait pas d’entreprise assurant un certain revenu à la fin de chaque mois.
Les motivations de l’entrepreneuriat jeune sont nombreuses, ce qui est une excellente chose dans un pays à revenus intermédiaires comme le Cameroun. Certains jeunes se lancent dans l’entrepreneuriat car ils n’ont pas le choix, d’autres c’est le désir d’être son propre patron, d’accomplir quelque chose de grand, de faire fortune, de se réaliser. Il faut alors distinguer auto-entrepreneur, de travailleur indépendant, et de micro-entreprise.
Contrairement à la tendance actuelle qui favorise les startups technologiques, tu as choisi l’industrie alimentaire pour ton entreprise. Pourquoi ce choix ?
Souvent je me dis, avoir mal choisi mon créneau quand je vois la valorisation et la levée de fonds des fintechs. Toutefois, mon leitmotiv n’est pas de devenir le prochain Steve jobs.
J’ai toujours préféré l’économie réelle à la technologie. Au début de ma carrière de banquière d’affaires, j’ai rapidement pris une teinte agroalimentaire car je n’ai pas peur de mettre la main à la pâte. L’Afrique n’arrive toujours pas à se nourrir au vu des milliards des importations de denrées alimentaires dépensés chaque année.
Les jeunes devraient massivement s’investir dans la production des denrées alimentaires pour nous nourrir. D’autant plus que nous avons des terres arables. Il n’y a pas de tech sans économie réelle.
Pourquoi avoir nommé ta marque “Bobo” et quelle est son ambition?
C’est un cousin qui s’est exclamé « c’est pour les Bôbôs ! » quand je lui ai présenté mes premiers madeleines et cookies, et je lui ai annoncé le prix auquel je souhaitais vendre mes produits. BOBO fait référence à des personnes qui apprécient la qualité, et valorisent le made in Cameroon.
L’ambition de BOBO est de conquérir l’Afrique et le monde avec ses snackings sains, sans conservateurs, sans additifs et sans colorants à base de farine locale (patate, maïs, manioc, …).
Comment as-tu identifié ton marché cible et développé ta proposition de valeur pour répondre à ses besoins spécifiques ?
Quand je suis rentrée au Cameroun, j’ai été frappée par la scission dans les supermarchés entre les marques importées d’un côté, et les marques locales d’un autre côté. Il n’y avait pas de marque camerounaise sur le segment premium des biscuits. Nous avons décidé de nous positionner dans ce marché de niche qui est évalué à près de 100 milliards FCFA.
La proposition de valeur, c’est des biscuits et gâteaux de qualité inspirés du terroir antillais et camerounais avec des ingrédients de premier choix. Notre priorité est le goût, le goût, et le goût.
Pourrais-tu nous dire où tu en es actuellement avec ton entreprise et quels sont tes objectifs futurs ?
Cette année, nous fêtons le 4ième anniversaire de BOBO. Nous sommes ravis de la progression du bébé. Il rampe encore, mais il ne tardera pas à marcher avec assurance. Le bilan des premières années est satisfaisant avec un volume mensuel de paquets vendus qui a été multiplié par 100, et un réseau de distribution comptant plus d’une centaine de points de vente au Cameroun.
Nos objectifs sont de déménager dans un local de production plus spacieux, de porter notre volume à plus de 10,000 paquets par mois, étendre notre réseau de distribution en Afrique et en Occident.
Comme une de nos Bobos nous l’a dit, nous sommes le futur LU Africain. Nous avons lancé une levée de fonds pour obtenir l’accompagnement financier adéquat et franchir le prochain palier.
Les récompenses que tu as obtenu t’ont-ils aidée à franchir des étapes importantes dans ton parcours entrepreneurial ?
En 2023, nous avons remporté de nombreux prix : le prix Pierre Castel, le prix de l’entreprenariat féminin de la Délégation régionale du Québec et le prix du Shirlma Show. Ces concours ont mis BOBO sur le devant de la scène camerounaise. Ils nous ont donné une visibilité que nous essayons de gagner de manière organique.
Les prix nous ont permis également d’acquérir du matériel en vue d’industrialiser nos process de production, et aussi obtenir un accompagnement technique dans la standardisation de nos process.
Quels sont les plus grands défis et les plus grandes craintes auxquels tu es confrontée dans ton industrie et comment comptes-tu les surmonter ?
Le grand défi actuel est la hausse des coûts de production consécutivement à la hausse des prix d’énergie. Un groupe électrogène est obligatoire pour maintenir la continuité des activités ce qui renchérit d’autant plus les coûts de production, ainsi que la hausse des prix de transport.
Répercuter cette hausse de coûts sur le consommateur final avec une hausse des prix, est un exercice très périlleux, digne d’un équilibriste. L’environnement économique n’est pas au beau fixe au Cameroun, mais nous restons persuadés que c’est le meilleur moment pour BOBO. Je préfère regarder le verre à demi plein, et non à demi vide.
Penses-tu que certaines difficultés sont spécifiquement liées à ton genre en tant qu’entrepreneuse ou sont-elles plus générales ?
Non, je fais fi des discriminations liées au genre. J’essaie de rester assez factuelle et objective dans mon parcours entrepreneurial. Les difficultés sont des challenges à surmonter en travaillant sur soi.
Selon toi, l’État a-t-il un rôle à jouer dans le soutien aux entrepreneurs ou chaque entrepreneur doit-il se débrouiller seul ?
L’Etat a un rôle primordial auprès des entrepreneurs, comme tous les autres acteurs économiques. Le meilleur cadeau aux entrepreneurs est un bon environnement des affaires, et un bon indice de la facilité de faire des affaires.
A BOBO, nous sommes heureux de l’accompagnement que nous avons reçu à date du MINEPAT (Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire) dans des foires comme Promote et Yafe, et du MINPMEESA (MINISTÈRE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES, DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET DE L’ARTISANAT).
Enfin, as-tu un message à adresser à toutes les parties prenantes de l’économie africaine ? Et à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, as-tu un message particulier à transmettre aux femmes et aux filles en Afrique ?
Le futur de la planète sera sûrement africain, et le meilleur moment pour en profiter est maintenant. Pour les femmes, éduquons les hommes de demain en harmonie avec leurs futures femmes, collègues et concitoyennes.