Jules Tamdjo, le jeune entrepreneur camerounais qui veut simplifier la vie des lycéens

Il est animé d’une volonté profonde : « rendre une éducation de qualité accessible à tous au Cameroun en s’appuyant sur la technologie ». Agé de 26 ans, Jules Tamdjo a fondé il y'a 3 ans, la plateforme Skylon Education qui met à disposition des élèves, des cours, des exercices, ainsi que des anales corrigées afin que ceux-ci puissent y avoir accès à tout moment pour préparer leurs examens.

Né au Cameroun, cet Ingénieur en Énergie et moteurs de formation officie comme Strategy & operations Consultant dans un cabinet d’Audit et consacre ses soirées et son week-end à sa plateforme Skylon qui à ce jour, revendique plus de 21000 utilisateurs. Nous l’avons rencontré !

Bonjour Jules. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

 

Je suis Jules Kévin Tamdjo, jeune professionnel de 26 ans et Co-Fondateur de Skylon. Après ma formation d’ingénieur motoriste en 2020, je me suis orienté vers le secteur des achats powertrain, avant de rejoindre le domaine du conseil en stratégie opérations.

Je suis très attaché à l’impact social notamment dans les domaines de l’éducation, la mobilité, et l’agriculture, ce qui m’a emmené durant ces 5 dernières années, à coté de mes études (et de mon travail) à développer plusieurs projets avant de me focaliser sur Skylon, projet sur lequel je travaille tous les soirs après mon boulot et les weekends avec les autres membres de l’équipe.

 

Que doit-on savoir sur Skylon Education ?

 

Skylon est une entreprise sociale dont la mission est de rendre une éducation de qualité accessible à tous. Via notre plateforme, nous mettons à disposition des élèves : des cours, des exercices, ainsi que des anales corrigées afin que ceux-ci puissent y avoir accès à tout moment pour préparer leurs examens.

Nos utilisateurs sont à 90% les élèves de première et terminale du Cameroun. Les 10% restants viennent des autres pays comme la Cote d’Ivoire, le Benin, et le Burkina Faso. Mais leur activité sur la plateforme reste infime.

 

D’où vous est venue l’idée de lancer cette plateforme et quels sont les retours que vous avez aujourd’hui ?

 

En 2020, il y a eu deux principaux évènements marquants dans le domaine de l’éducation au Cameroun. Le premier, celui qu’on connait tous, le covid qui a entrainé la fermeture des écoles et le passage au système de mi-temps.

Le deuxième, moins connu et qui est même le driver de la décision de se lancer c’est le passage au système APC (Approche Par Compétence) en classe de terminale.

 

Pour faire simple, contrairement au système traditionnel que nous avons connu dans les années 2013 au lycée où l’évaluation se limitait à la résolution littérale des exercices, en 2020 le système a totalement basculé vers la logique problèmes concrets

 

Les élèves devaient désormais résoudre les problèmes de la vie courante en s’appuyant sur les connaissances acquises en cours. C’est d’ailleurs pourquoi en 2020 nous avons lancé trois livres (Le gladiator, le sophomore, et le taure) pour aider les élèves dans ce sens.

En termes de retour de manière générale, l’initiative est saluée du côté du Cameroun et résous un problème clair. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire sachant qu’aujourd’hui, la plateforme déployée ne contient même pas les 10% des contenus que nous avons dans nos bases de données, la solution dédiée aux élèves anglo-Saxon n’est pas encore 100% opérationnelle, et la version 2.0 de la plateforme n’est pas totalement déployée.

 

Après pratiquement deux ans d’exercice, quel bilan pouvez-vous dresser ?

 

En toute franchise, l’activité est très intense car nous sommes sur des contenus dynamiques, mais nous avons réussi à tenir pendant 3 ans avec un produit qui aide très bien nos cibles de base.

Beaucoup de leçons apprises sur le problème que nous essayons de résoudre, du besoin réel de nos bénéficiaires, et sur l’expérience utilisateur dans le cas particulier du Cameroun. Tout cela sera bien sûr capitaliser sur la prochaine version de la plateforme.

La principale leçon que je retiens après ces trois années intenses, c’est que la venue des solutions de paiement en ligne, la démocratisation du mobile money, et l’explosion du nombre de smartphones auprès chez les jeunes (14-20 ans) sur le continent créent les conditions propices au développement des solutions éducatives (e/M-Learning) durables où l’apprenant sera à la fois le client et le bénéficiaire.

 

Quelles sont les principales difficultés rencontrées et comment parvenez-vous à les surmonter ?

 

S’il faille toutes les énumérer, nous irons pour une dizaine de pages mais j’essayerai de me focaliser sur les deux plus marquantes.

  •   Une immense volonté d’aider qui se heurte à la réalité : le challenge du financement

En général, quand on initie ce type de projet, on est animé par une profonde volonté d’aider gratuitement les élèves et avoir ainsi un impact concret dans la vie des milliers de personnes.

Cependant, on est très vite rattrapé par la réalité : il faut faire face aux couts de développement de la plateforme, des serveurs, contenus, etc.  Pendant pratiquement 8 mois (de Juillet 2020 à février 2021), j’ai dû supporter les charges, sachant que la première version du site était développée en France.

Je vous laisse imaginer la situation sachant qu’à l’époque j’étais étudiant. N’eut été l’arrivée de mes deux associés Tech, j’aurai littéralement arrêté le projet en 2021 suite à l’épuisement financier et émotionnel. Dans ce Game, le nerf de la guerre reste le financement.

  • ·       Construire une équipe motivée et polyvalente

Au début d’un projet tech comme Skylon, on est souvent tenté de réduire le travail à coder la plateforme et charger le contenu. En réalité cela ne constitue que 30 à 40% du travail.

Le plus gros challenge reste le déploiement, l’écoute des utilisateurs, et des itérations (produit et business model). Pour cela, il vous faut une équipe très motivée.

Des personnes capables de faire du Community management sur Facebook durant le premier tier de la journée, basculer dans le tri des contenus l’après-midi, continuer en soirée au support utilisateur sur WhatsApp, et terminer la journée avec un call de brainstorming sur comment changer de business model.

Dans ce type de projet, les membres de l’équipe de base doivent avoir une bonne capacité d’adaptation, c’est vital ! Vous pouvez développer des approches pour former vos anciens utilisateurs (les nôtres sont actuellement en première et deuxième année en fac) sur des périmètres spécifiques afin qu’ils assurent la continuité.

Il est important de garder à l’esprit que les difficultés qui jalonnent le chemin ne doivent en aucun cas vous faire rebrousser chemin. Au contraire, il faudrait les embrasser car c’est ça qui vous fera grandir en tant qu’Homme et en tant qu’entrepreneur.

 

Le mois dernier, votre plateforme a passé la barre symbolique des 21000 utilisateurs. Quels sont selon vous, les facteurs clés du succès de Skylon au Cameroun ?

 

Je tiens tout d’abord à souligner que les 21000 utilisateurs c’est sur le cumul sur les trois années, nous avons en moyenne 7000 utilisateurs par an.  Les éléments qui nous ont permit d’avoir autant d’utilisateurs sont nombreux mais je ne citerai que quelques-uns :

  •   La rapidité dans le processus d’itération durant les six mois qui ont suivi le lancement 

Lorsque nous avons lancé le site, nous nous sommes rendu compte que le niveau de maturité numérique de nos utilisateurs n’était pas celui auquel nous nous attendions.

Nous avons dû nous adapter et faire preuve de patience pour avoir les early adopters. L’exemple le plus flagrant c’est le processus d’inscription. L’inscription sur le site se faisait au départ en utilisant les adresses mail. Mais en réalité, nos bénéficiaires n’ont pas du tout l’habitude de l’utiliser.

À l’époque, je me souviens on recevait en moyenne 300 messages whatsApp par jour sur les difficultés de création de compte. Pendant 4 jours intenses, nous avons aidé les élèves à créer des comptes les uns après les autres afin de ne pas perdre les users en attendant le changement de la procédure d’inscription.

Si nous n’avions pas eu des personnes déterminées et réactives (coté tech et support utilisateurs) durant cette période, nous aurions pris un coup dur.

 

  • Une communication fun sur Facebook et une forte proximité avec les élèves.

En général quand on commence un projet, on n’a pas toutes les compétences, par contre la profonde volonté de changer les choses nous pousse à apprendre.

La connaissance du contexte Camerounais nous a fait comprendre qu’il est impossible d’attirer l’attention des élèves en adoptant une approche rigoureuse comme dans une salle de classe, il faut du fun.

Nous avons développé une stratégie de communication hyper fun qui fait de chacun de nos abonnés Facebook notre ambassadeur et cela a énormément contribué au début du projet.

 

  •   L’écoute des utilisateurs

Quand on lance un produit tech, on est souvent tenté de vouloir construire la solution parfaite avant de la présenter aux premiers utilisateurs. Mais l’une des meilleures approches (celle qu’on utilise aujourd’hui) c’est de construire la solution avec les utilisateurs.

Lancer le produit minimal, l’itérer, ajouter les éléments (produits ou features) en fonction des retours utilisateurs. On a commis cette erreur au début en investissant massivement sur du contenu qui au final n’était pas en ligne avec les besoins immédiats des utilisateurs. Et je peux vous dire que ça fait très mal.

 

Après le Cameroun, peut-on s’attendre à ce que vous exportiez votre solution vers les marchés des pays de l’Afrique de l’Ouest ?

 

Oui c’est possible mais il y a un encore énorme potentiel inexploré au Cameroun. Seulement sur le segment des élèves francophones de première et terminale, vous avez jusqu’à 100.000 utilisateurs connectés par an. Nous sommes loin du compte.

Cependant, au début du projet nous avons enregistré des paiements des autres pays comme le Burkina et le Sénégal, ce qui montre clairement que la solution est exportable. Mais le plus gros challenge reste l’adaptation du contenu aux réalités.

Un cas très simple, au Sénégal vous avez 80% des candidats au baccalauréat qui sont issues des séries littéraires tandis qu’au Cameroun, le taux est beaucoup plus faible. Pour s’exporter dans ces pays-là il faut s’adapter aux réalités.

Nous avons déjà suffisamment dissertations et de cours littéraires, les exercices de maths/physique/chimie étant les mêmes, De plus, nous avons pivoté vers une solution marketplace donc dès septembre avec la nouvelle plateforme on pourra augmenter le Traffic dans ces pays tout en restant focus sur le Cameroun.

 

Quel regard portez-vous sur le marché du e-learning au Cameroun et plus largement en Afrique ? L’activité est-elle rentable ?

 

En Afrique de manière générale le marché de l’e-learning se développe chaque année ce qui est plutôt normal vu le nombre de jeunes sur le continent (environ 60% de la population africaine a moins de 25 ans), l’augmentation du taux de pénétration internet, et la croissance du nombre de détenteurs de smartphones.

Les plus gros acteurs sont du côté de l’Afrique anglophone avec notamment U-lessons, Edukoya, Altschool, Foondamate, M-Shule et bien plus encore. Coté Afrique Francophone (subsaharienne) par contre il y a très peu d’acteurs. L’un des plus gros actuellement c’est Nomad Education.

Pour ce qui est du Cameroun, il faut noter que l’Afrique centrale est l’une des régions en Afrique avec le plus faible taux de pénétration internet (derrière l’Afrique de l’est) donc ça n’aide pas beaucoup.

Cependant il y a pas mal d’acteurs qui ont un impact considérable dont un coté Francophone qui fait exactement ce que nous faisons et un autre coté anglophone. La problématique d’accès à l’éducation est cruciale et complexe à adresser. Plus il y aura d’acteurs, plus les jeunes auront une meilleure éducation !

 

Comment parvenez-vous à concilier vie entrepreneuriale et vie de consultant dans un prestigieux cabinet d’audit ? Quelle activité absorbe le plus votre énergie ?

 

Je travaille sur Skylon tous les soirs après mon travail et tous les weekends donc il n’y a pas d’intersection entre les temps alloués à chaque activité.

Je dois toutefois admettre que travailler sur un projet en parallèle de son boulot demande beaucoup d’engagement, de pugnacité, et draine énormément d’énergie quand on sait qu’il faut dégager 3 à 4 h tous les soirs et parfois des dizaines le weekend.

Une chose est certaine dans ce type de projet, il y aura potentiellement une fusion acquisition entre votre vie personnelle et votre vie entrepreneuriale mais ça fait partie des sacrifices à faire.

 

Est-ce qu’il y a un point que je n’ai pas évoqué et que vous souhaiteriez aborder ?

 

Je souhaiterais juste dire que nous sommes encore dans nos débuts, rien n’est encore parfait et il y a encore du chemin à faire mais nous restons déterminés à pousser le projet du mieux qu’on peut car une chose est certaine ça impacte clairement la vie des prochaines générations.

La vision de skylon est trop grande pour être portée par une, deux, trois, ou même quatre personnes. Donc si vous êtes un acteur dans le secteur de l’éducation, n’hésitez pas à me contacter afin qu’on puisse voir comment travailler ensemble.

 

Si vous avez trois conseils à donner à ceux qui ont des idées de projets ou qui projettent se lancer, ce serait quoi ?

 

Pour ceux qui ont des idées de projets ou qui projettent se lancer plus tard je dirais trois choses :

1. Choisissez une mission ou un problème qui vous tient à cœur car c’est la seule chose qui vous permettra de tenir quand ça sera difficile. Et une chose est sûre et certaine, ça sera extrêmement difficile. Vous serez emmené à mettre votre argent, votre temps et brulerez de votre énergie de vie pour faire avancer votre projet.

 

2. Et parfois même la dépression et la solitude seront au rendez-vous. Ça fait partie des challenges de l’aventure, il faut les embrasser car c’est ça qui fait grandir.

 

3. Recherchez des personnes résilientes (et loyales) qui partagent les mêmes valeurs et rêvent/aspirations que vous ; retrouvez-vous autour d’une idée ; et commencez à exécuter (Avec détermination. Comme si vos vies en dépendaient). Si votre projet est tech, l’idéal serait d’avoir un « technical founder » dans l’équipe. Surtout, bien garder à l’esprit qu’une aventure entrepreneuriale est avant tout une aventure humaine !

 

4. Formez-vous tous les jours et ne vous laissez pas aveugler par « la hype » et le storytelling autour de l’entreprenariat car la réalité est 10 fois plus difficile que vous n’imaginez.

Vous n’êtes pas trop fort si vous lancez un projet et vous n’êtes pas mauvais si vous n’en lancez pas. Il faudrait juste être en ligne avec ses ambitions long terme.

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