L’INFLATION : le sauvetage du soldat Ryan et le mal des Banques Centrales du franc… Loic Jobrey Amona

Comme partout ailleurs dans le monde, l’inflation revient au centre des préoccupations économiques. Face à ce nouveau défi auquel doivent faire face les économies des pays en voie de développement plus particulièrement ceux de l'Afrique Subsaharienne, lourdement frappé par un environnement économique plombé par le chômage structurel, des défis sécuritaires importants, et par-dessus tout le poids de la crise sanitaire avec des mesures de confinement déployées, la question est d'autant plus forte qu'elle pose le débat sur la souveraineté monétaire. Notre expert vous explique !

Au plus fort de la crise financière de 2007-2008, l’assouplissement quantitatif a été le programme de soutien inédit que les banques centrales de l’UE et des USA (BCE et FED) ont apporté pour sauver leurs économies. Ayant déjà porté les taux directeurs à des niveaux très
bas, situation de trappe à liquidité, elles ont imaginé de nouveaux moyens pour améliorer les
conditions de financement de l’économie. L’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing) désigne un type de politique monétaire par laquelle une banque centrale rachète massivement de la dette publique ou d’autres actifs financiers afin d’injecter de l’argent dans l’économie et de stimuler la croissance.

Que ce soit une politique monétaire conventionnelle ou non conventionnelle, tous les moyens ont été salutaires pour sauver le soldat Ryan c’est-à-dire les économies européennes et américaines. Ces politiques d’orientation Keynésienne sont à l’opposé des orientations de celles développées par le courant monétariste. Milton Friedman a inauguré une pensée économique d’inspiration libérale dont les prescriptions s’opposent de front à celle du keynésianisme. En réponse à la fonction de consommation keynésienne, il développa la théorie du revenu permanent. Avec cette théorie et l’introduction du taux de chômage naturel, Friedman remet en cause le bien-fondé des politiques de relance qui, pour lui, ne
peuvent que provoquer de l’inflation contre laquelle il faut lutter. Le pouvoir de la monnaie
n’étant pas à négliger.

De ce point de vue, aucune anticipation n’a présenté de rationalité, l’incohérence temporelle n’étant qu’une illusion, et le sauvetage du soldat devant se faire quoiqu’il en soit et… quoiqu’il en coûtera des tensions inflationnistes à venir.

Si les banques utilisent l’apport de liquidité pour prêter aux entreprises et aux particuliers, la reprise de l’emprunt devrait faire mécaniquement remonter le taux d’inflation.

De 2008 à 2018, les deux banques centrales ont massivement recouru à cette politique monétaire non conventionnelle afin de soutenir les économies et éviter la déflation pour relancer l’activité économique. De façon schématique, les banques centrales augmentent la liquidité des banques en rachetant à des conditions avantageuses les obligations d’Etat détenues par les banques commerciales. Si les banques utilisent cet apport de liquidité pour prêter aux entreprises et aux particuliers, la reprise de l’emprunt devrait faire mécaniquement remonter le taux d’inflation.

Dans le fond, l’enjeu du quantitative easing c’est d’augmenter la quantité de monnaie en circulation. Cette politique, avec en filigrane une approche classique, repose sur l’hypothèse d’une monnaie neutre. Toute augmentation de la masse monétaire en circulation ayant pour seule conséquence une hausse proportionnelle du niveau général des prix.

Les économistes s’accordent à dire que les effets d’une politique monétaire ne peuvent se ressentir qu’à partir de la deuxième année qui suit son déploiement. A court terme, le principe de la neutralité monétaire peut être observé. Il n’y a pas de relation entre la sphère réelle de l’économie et la sphère monétaire. La théorie quantitative de la monnaie est appliquée. En raison de ce que l’on qualifiera d’incohérence temporelle, les deux sphères ne muent ensemble car la monnaie et l’inflation sont reliées par deux concepts à savoir : le multiplicateur monétaire et la vitesse de circulation de la monnaie. L’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Il s’agit d’un phénomène persistant qui fait monter l’ensemble des prix et auquel se superposent des variations sectorielles des prix.

« A long terme nous serons tous morts » dixit J.M. Keynes. En conséquence, bien que le lien entre la monnaie et l’inflation se fixe sur le long terme, il devient évident que celle-ci s’établit à moyen terme. Il convient, sur cette première partie, de retenir que bien au-delà d’un secteur réel productif et d’un système économique, bancaire et financier encadré, le lien entre la monnaie et l’inflation demeure établie. Par analogie, ce lien est semblable à un volcan dont la certitude des tests a confirmé l’imminente éruption. Elle est et se fera, à moyen terme… Tel le soleil qui démarre sa course à l’orient pour la terminer à l’occident, les crises économiques et financières font le chemin inverse, se couchant au Sud. L’actuel problème d’inflation qui tend à se conjuguer avec une faible croissance pour former le cocktail stagflationniste n’est pas nouveau au contexte des pays du sud. Il faut noter que cette inflation n’étant pas de cause directe avec la quantité de monnaie en circulation est d’origine importée. L’inflation renchérit le coût des biens importés. La première cause à effet, est la réduction des marges des entreprises importatrices. Pour compenser cela, les entreprises répercutent l’ensemble des coûts associés aux prix de revient dans un premier temps ; puis limitant l’effet ciseau, évolution divergente entre les produits et les charges, elles réduisent les charges sociales pour sauvegarder le peu de marges qui reste.

Le fait que l’inflation ne soit en relation avec la quantité de monnaie en circulation est révélateur de l’épineuse question sur la souveraineté monétaire des banques centrales de la zone franc (BEAC & BCEAO ). En effet, l’intervention de la banque centrale (cas de la BEAC) de relever son taux directeur de 1.5pb, passant de 2.45% à 4%, sera de nature à rationner la liquidité bancaire-le refinancement auprès du guichet banque centrale coutant plus cher – et à renchérir le coût du crédit-les banques augmentent les taux pour compenser le coût de l’argent et marger pour le coût du risque de transformation qu’elles prennent. Cette orientation se veut de nature à limiter la dynamique de l’investissement du secteur privé avec son effet boule de neige… Les économies de la zone franc se caractérisent par un rationnement du crédit, dont les causes renvoient autant aux objectifs des deux principales banques centrales de la zone franc – la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour l’UEMOA et la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) pour la CEMAC – qu’à l’extrême frilosité du système bancaire de la zone. L’effet conjugué de ces actions constitue l’une des limites pour lesquelles les banques centrales de la zone franc ne participent pas suffisamment au financement de l’économie et donc au développement des Etats africains donnant lieu à sous-financement chronique.

Cela dit, la question de la souveraineté monétaire se trouve dans le sillage des critiques qui alimentent le débat sur le franc CFA mettant en relief les limites de la politique monétaire menée par l’institut d’émission sous-régionale. Si en interne le franc CFA bénéficie de la confiance des populations, sa crédibilité extérieure s’assoit très largement sur son arrimage à l’euro ainsi que sur la garantie illimitée de convertibilité consentie par le Trésor français. Ce système limite fortement la souveraineté monétaire des États africains, en liant de facto la politique monétaire de leurs banques centrales à celle de la BCE.

La liaison que la zone franc induit entre la politique monétaire du franc CFA et la politique monétaire de la zone euro s’avère en effet une hérésie d’un point de vue économique, car les deux zones sont diamétralement différentes. Par ailleurs, une trop forte appréciation de l’euro sur les marchés des changes, notamment par rapport au dollar, peut dégrader les termes de l’échange et nuire à la compétitivité des exportations qui forment généralement une part importante des ressources des pays concernés.

C’est le sens de la théorie du triangle d’incompatibilité monétaire formulée par Robert Mundell et Marcus Flemming dans les années 1960. Celle-ci établit l’impossibilité pour une économie – entendue alors dans un sens national – de combiner les trois objectifs économiques suivants : la souveraineté monétaire, la libre circulation des capitaux et un régime de changes fixes. Or, la zone franc est un système de changes fixes qui garantit la libre circulation des capitaux.

Imprimer du franc CFA revient à créer de l’euro via la Banque de France qui, va alors exercer un droit de réponse sur les politiques monétaires des pays africains concernés, mais aussi avoir l’obligation de leur fournir les devises nécessaires, en cas de besoin. Afin de faciliter l’ensemble des opérations, la Banque de France centralise les réserves de change de ces pays auprès du Trésor français, à partir d’un compte d’opération au nom de chacune des banques centrales. Ces comptes seront tantôt débiteurs, tantôt créditeurs, générant des mouvements d’intérêt.

Pour y parvenir, il faut lever un certain nombre de barrières internes au niveau des Etats. Cela s’accompagne d’un pragmatisme authentique en démontrant de réelles capacités de pilotage et de supervision des plans nationaux de développement. Pour se faire, les actions suivantes doivent être déployées :

  • a) Le déploiement d’un appareil productif suffisamment industrialisé et efficace ;
  • b) La création des industries avec des politiques agricoles communes en exploitant la théorie des avantages comparatifs ;
  • c) Le renforcement de l’intégration sous régionale aussi bien sur le plan économique que politique avec une convergence des vues. Le marché commun est embryonnaire et le volume des échanges restent encore très faible (≤ 10% du volume des échanges au niveau CEMAC et +/- 15% au niveau UEMOA), les facteurs de production ne circulant quasiment pas ;
  • d) Une indépendance plus prononcée de la banque centrale ; indépendance vis-à-vis du pouvoir politique mais également de la Banque de France. Dans ses nouveaux statuts, il en est fait clairement mention mais cette action tarde de suivre dans les faits ;
  • e) Une convergence des politiques budgétaires pour favoriser les policy-mix. Le seul objectif de stabilité monétaire13 signifie un taux d’inflation faible et un taux de couverture de la monnaie suffisant (le seuil minimal est de 20 %), n’est pas suffisant pour inciter la croissance via l’investissement, source de création d’emplois.

L’évolution doit être au cœur de ce système, dans la suite logique des orientations stratégiques proposées, en s’inscrivant dans la durée à un horizon de dix à quinze ans. Mais elles doivent être enclenchées simultanément. De celles-ci, on note :

  • a) une jonction plus prononcées des deux francs CFA en vigueur en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Il en va de soi qu’une jonction plus marquée des deux francs CFA en opérant une interchangeabilité des deux francs CFA serait de nature à renforcer le cadre des échanges. Cette configuration, pour voir le jour, devrait toutefois s’assortir d’engagements de réformes de gouvernance, de modèles économiques clairs et définis, afin que la gestion hasardeuse et les difficultés constantes de certains États membres ne puissent mettre en danger la zone monétaire dans son ensemble. Cela suppose donc un renforcement de l’intégration économique et politique à l’échelle de chacune des deux zones régionales comme à l’échelle de l’ensemble constitué par la somme de celles-ci.
  • b) un renforcement de la convergence entre les deux zones monétaires afin de constituer une taille critique pour s’apporter un soutien mutuel en cas de choc. Elle suppose, en revanche, la définition d’un cadre politique probablement plus rigoureux ;
  • c) une réduction graduelle des réserves monétaires détenues auprès de la banque de France passant de 50% à 30% dans un premier temps puis à 10% ; réduction qui sera assortie des conditions pour assurer cet arrimage du CFA à l’euro ;
  • d) un ancrage du franc à un panel de monnaies tenant compte des différents partenaires commerciaux (renminbi, rouble, usd…).

Contrairement à l’expérience européenne – qui a été nourrie par les enseignements de la théorie des zones monétaires optimales telle qu’elle a été énoncée par Mundell (1961), les mécanismes de convergence en zone franc répondent à la nécessité de moderniser le dispositif institutionnel de la zone, dans le but non seulement de renforcer la crédibilité de la parité du franc CFA avec l’euro, mais aussi d’accélérer le processus d’intégration économique pour faire face à la menace d’une marginalisation accrue de la zone dans les échanges internationaux. Par ailleurs, dans l’expérience de la zone franc, la convergence des économies se trouve, du moins selon les textes officiels, au cœur du dispositif permettant d’atteindre les objectifs de l’Union économique et monétaire, à savoir principalement l’éradication de la pauvreté, conformément aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

En dépit de cette spécificité, le statut de la convergence en zone franc n’est pas sans rappeler les débats sur la nécessité de la coordination des politiques budgétaires dans une union monétaire. En effet, selon certains, les politiques budgétaires sont nécessaires pour assurer la stabilisation de l’activité à court terme, face à des chocs spécifiques auxquels ne peut répondre la banque centrale commune, puisqu’en leur absence, l’ajustement se ferait par les quantités et cela provoquerait la récession et le chômage (Wyplosz, 1991).

Contrairement à la zone euro, la convergence des pays de la CEMAC et UEMOA vers une zone monétaire optimale se fera si rapidement si les conditions supra sont remplies accélérée par l’absence de barrières linguistiques. Il suffit d’une réelle volonté commune en laissant de côté l’ego de ses dirigeants.

Le problème de la souveraineté des instituts d’émission a pour sous-jacent leur autonomie dans la conception, la définition et le pilotage de la politique monétaire ; dans la gestion de la monnaie et dans la transparence de l’information à communiquer. Sans être suffisant à défaut d’être déjà essentiel, les pays ayant pour franc CFA comme monnaie bénéficient d’une inflation faible (2% en moyenne sur la période de 2009-2017) et de taux de change fixe, mais les taux de croissance (2,8% en moyenne sur la période 2009-2017) ne sont pas pour autant à deux chiffres et encore proche du taux d’inflation.

« Ce n’est pas la dette qui finance la crise mais la monnaie » soulignait Patrick Artus dans une tribune en posant ensuite la question suivante : « Que se passe-t-il lorsqu’on crée une montagne de monnaie pour financer le déficit ? » avant d’enchaîner avec la formule : La réponse était simple il y a trente ans : l’inflation… De toute évidence, la réponse est et demeure l’inflation.

Enfin, dans une économie mondialement et financièrement globalisée, il ne peut y exister des chocs isolés à un pays ou une région donnée. L’inflation se répand telle une trainée de poudre à toutes les économies et à toutes les régions du monde soit par le lien direct avec la monnaie, soit par le mécanisme des échanges internationaux. Tout comme les postulats économiques posées tout au long de l’histoire de la pensée économique porteront à tour de rôle l’empreinte du temps sans et ne doivent pas être rangées. Une utilisation excessive de la monnaie demeure d’un lien direct avec les prix mettant en corolaire le caractère actif de la monnaie.

En s’interrogeant si le franc CFA est un frein à l’émergence des économies africaines, il y a un fond positif pour les économies l’ayant acceptée comme monnaie mais il n’en demeure pas moins sur les réformes de fond qui doivent être entreprises. Cela implique d’un côté de renforcer la gouvernance, la démocratie et le cadre institutionnel toute comme remédié efficacement aux questions de productivité et de compétitivité, indispensable au développement dont la seule monnaie ne peut y répondre, et de l’autre une gestion monétaire plus adaptée à la structure des économies. Le tout dans un contexte politique apaisé…  

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