Il a le privilège de pratiquer son métier de spécialiste en propriété industrielle au sein d’Organismes de Transfert de Technologies (TTO) de renom qui desservent deux Universités britanniques qui comptent parmi les plus innovantes au niveau mondial : Imperial College London (où a été inventée la pénicilline) et The University of Manchester (qui a vu la naissance du graphène, Prix Nobel de Physique, 2010). Freddy Guemeni est un professionnel au parcours remarquable.
Biologiste de formation, ce camerounais s’épanouit et brille dans l’univers de la propriété industrielle. Depuis Février 2020, il dirige le service PI de l’Innovation Factory (le TTO de l’Université de Manchester). Nous l’avons rencontré !
Bonjour Freddy. Pouvez-vous nous parler de votre parcours en tant que spécialiste en propriété intellectuelle et comment vous êtes devenu passionné par cette discipline ?
Après mes études secondaires, j’ai choisi de me former aux sciences de la vie en obtenant une maîtrise en biologie et biotechnologies à Lille 1.
J’ai réalisé que j’étais plus intéressé par la finalité des expériences, le résultat. Je me suis interrogé sur la valeur des fruits de la recherche. C’est tout naturellement que j’ai été sensible aux propos d’un conférencier sur la propriété industrielle (PI) et la protection des inventions. C’est ainsi que j’ai entendu parler du CEIPI à Strasbourg qui est le centre d’études internationales de la propriété industrielle.
Ce centre d’excellence que j’ai intégré délivre une formation reconnue à l’échelle internationale en propriété intellectuelle (PI) en particulier les diplômes « brevets d’invention » et « Marques, Dessins et Modèles ».
C’est là-bas que j’ai acquis une connaissance approfondie des procédures brevets qui permettent d’acquérir, de maintenir et de défendre les droits de propriété industrielle. Au CEIPI, j’ai également pris conscience de mon goût pour le travail d’équipe.
À la fin de ma formation, j’ai rejoint en tant qu’ingénieur brevets, le département PI de Genfit, un laboratoire biopharmaceutique spécialiste des maladies métaboliques telles que le diabète et ses désordres associés.
J’ai développé une expertise en produisant des opinions PI ou des études de liberté d’exploitation, en rédigeant des demandes européennes et internationales de brevets en chimie médicinale, et enfin, en établissant divers rapports stratégiques et de suivis de projets à l’attention du comité de direction.
Il y’a un peu plus d’une dizaine d’années, j’ai déménagé au Royaume-Uni où j’ai fait mes armes en tant que Consultant en Innovation en développant des stratégies de commercialisation et des études de marché pour des PME dans le cadre de projets britanniques ou européens.
Je me suis ensuite spécialisé dans le transfert de technologies autrement appelé valorisation de la recherche académique. Grace à Dieu, j’ai la chance d’avoir évolué et de continuer de pratiquer mon métier de spécialiste en propriété industrielle au sein d’organismes de transfert de technologies (TTO) de renom qui desservent deux Universités britanniques qui comptent parmi les plus innovantes au niveau mondial : Imperial College London (où a été inventée la pénicilline) et The University of Manchester (qui a vu la naissance du graphène, Prix Nobel de Physique, 2010).
Je dirige actuellement le service PI de l’Innovation Factory (le TTO de l’Université de Manchester) où je suis responsable du développement et de la mise en œuvre de la stratégie de protection des innovations développées à l’Université. Je m’assure ainsi que notre portefeuille d’actifs PI soit en parfait alignement avec les modèles d’affaires et les stratégies de commercialisation des projets gérés par mes collègues.
Mon entreprise va ainsi soit créer de spinouts (véhicules de commercialisations) ou bien négocier des licences avec des grandes entreprises qui vont pouvoir mettre de nouveaux produits sur le marché ; et partant, remplir notre mission qui est de générer un impact sociétal, économique et environnemental.
Ma passion pour la PI vient de la possibilité de pouvoir mettre en application mon expertise juridique et mon « business acumen » sur des innovations technologiques de pointe au quotidien.
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Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier et quelles sont vos principales missions ?
La propriété intellectuelle, la valorisation de la recherche et le transfert de technologies in fine comportent des métiers divers et variés. Les missions principales consistent en la détection des innovations, l’évaluation de ces dernières, et leur protection grâce aux outils que sont les droits de propriété intellectuelle, l’identification de potentiels partenaires, et le transfert de technologies suite à la négociation d’accords de licences par exemple.
Le rôle que je joue est celui d’un gestionnaire de portefeuille d’actifs. Les brevets sont des actifs immatériels qui ont une valeur pour toute entreprise à condition d’en avoir conscience. À ce titre, je participe à la mise en œuvre de la stratégie PI de mon entreprise en particulier dans l’identification et la capture de la propriété intellectuelle résultant des travaux de recherche des académiques de l’Université de Manchester.
J’assiste mes collègues dans la protection de ses résultats de manière appropriée que ce soit par brevet, droit d’auteur ou encore savoir-faire. Chaque projet de commercialisation requiert la définition précise d’un package de droits PI qui pourra faire l’objet d’une transaction (licence).
Je joue aussi un rôle dans la planification des ressources par exemple en gardant un œil avisé sur la jauge budgétaire puisque les droits de PI génèrent des coûts qu’il faut maitriser. Je dois faire preuve d’une gestion « cost-effective » de notre portefeuille. Ceci se fait en outre par un monitoring constant du travail effectué par les cabinets de Conseils en Propriété intellectuelle avec lesquels nous collaborons au quotidien.
Enfin, un aspect de mon travail qui me plait particulièrement, c’est la sensibilisation aux problématiques et risques liés à la Propriété Intellectuelle. Peut-être de par ma mère qui est fondatrice d’un établissement scolaire dans la ville de Douala, je suis un éducateur dans l’âme.
J’aime participer à la dissémination de la connaissance de l’outil juridique et économique qu’est la PI ; transmettre les bonnes pratiques et mettre en lumière les pièges/erreurs à éviter par exemple l’erreur fatale dans mon domaine : la divulgation des détails d’une invention en amont du dépôt d’une demande de brevet.
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Comment vous assurez-vous de maintenir votre bien-être au travail et de gérer le stress lié à votre métier ?
Au risque de paraitre peu original, la pratique d’une activité physique régulière est primordiale. En effet, mon métier nécessite beaucoup de concentration et une grande capacité d’absorption d’information complexe et le sport aide vraiment à rester « sharp ».
Ensuite, je m’assure de garder un côté « fun » dans mon travail et de communiquer mon engouement pour notre mission à mon équipe. Savoir communiquer avec le comité de direction, les chercheurs de l’Université, mes collègues et collaborateurs participe aussi grandement à mon bien-être et pour tout dire, j’apprends toujours dans ce domaine.
Il est bon et utile d’être à l’écoute et de rester dans l’échange. Être moins dans le jargon et plus dans la communication et la compréhension du besoin de l’autre, savoir gérer les attentes des collègues/clients, savoir influencer et connaitre ses propres limites.
Être passionné ou du moins motivé par ce que l’on fait au quotidien aide à garder la flamme allumée et ne pas se laisser user par les challenges et le stress qui est inévitable dans un environnement professionnel.
Comment avez-vous vu l’évolution de votre métier au fil des années et comment pensez-vous qu’il évoluera à l’avenir ?
Le domaine du transfert de technologie a de mon point de vue énormément évolué depuis mon début de carrière. En particulier, partant au départ d’une course au nombre de déclarations d’inventions, du volume de brevets dans le portfolio de l’entreprise, nous semblons nous diriger depuis quelques années vers la recherche du qualitatif.
Tout en maintenant un niveau acceptable de brevets et de mémoires d’inventions, il s’agit de nos jours de focaliser les ressources, de l’organiser sur les projets à fort potentiel d’impact économique, social et environnemental. Et une partie de la recette réside peut-être à identifier les chercheurs les plus prometteurs de l’Université non seulement par rapport à la qualité de leurs projets de recherche mais aussi leur appétence pour la commercialisation / l’entrepreneuriat et leur capacité de travailler avec nous sur le moyen voire long terme.
En parallèle, si l’objectif principal consiste toujours à rechercher à générer des revenus/royalties au travers d’accords de licences, les 5 dernières années ont vu exploser une attraction spéciale pour la formation de nouvelles entreprises aussi appelées spin-outs.
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Il y a clairement une volonté académique et un boost politique qui poussent à créer de plus en plus de nouvelles entreprises à partir de la recherche universitaire
En effet, ces spin-outs sont perçus comme vecteurs potentiels de croissance économique, sources de création d’emploi, développeurs du tissu économique et acteurs de la compétitivité du pays à l’échelle mondiale. Pour preuve, je vous renvoie vers le discours du Président Macron en Juin 2017 au sujet de sa volonté de faire de la France une « start-up nation ».
Pour en revenir à mon cas personnel, l’évolution est claire et limpide. Il s’agit pour tout expert en propriété intellectuelle d’aiguiser son intellect aux impératifs commerciaux en gardant à l’esprit la visée business et compétitive de l’outil PI. Il faudra s’assurer en permanence que les brevets soient en alignement avec le business model du projet, du client ou de l’organisation.
Pour cela, au-delà bien entendu d’être un technicien juridique hors pair dans son domaine de prédilection, le praticien en propriété intellectuelle devra aussi être doté d’une grande maitrise du « business case » que sous-tendent les actifs incorporels qu’il ou elle a sous sa responsabilité.
Quel est l’impact de l’IA dans votre métier et comment pensez-vous que cela changera la façon dont vous travaillez ?
Excellente question ! Il est à craindre que l’intelligence artificielle nous rende tous redondants y compris vous, Fabrice. Il ne se passe plus une journée sans que les réseaux sociaux ne rapportent les prouesses de ChatGPT : écriture d’un livre en quelques heures, production d’un nouvel album des Beatles, création d’un code de programmation informatique pour des ingénieurs en électronique.
Plus sérieusement, cela fait déjà quelques années que l’IA a fait son entrée dans mon domaine. Les bases de données payantes de recherche d’antériorités sont pour la plupart de nos jours équipés de l’IA. La technologie du « Natural Language Processing » participe à l’analyse rapide et intelligente d’un grand volume de documents et permet en un temps record d’identifier ce qui existe déjà et partant, d’évaluer le caractère nouveau d’une invention. L’IA a ainsi le potentiel d’accélérer l’analyse du paysage des brevets dans un domaine donné ainsi que nous débarrasser des tâches répétitives.
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Les Conseils en Propriété Intellectuelle explorent actuellement si l’IA sera capable un jour de rédiger des brevets, décrire des inventions et pourquoi pas produire un jeu de revendications robuste et de qualité. D’autres vendeurs de solutions développent des IA qui pourront aider à trouver des arguments de réponses aux objections des offices de brevets et des cas de jurisprudence
J’imagine aussi que l’IA pourrait aider à l’avenir à identifier des concurrents proposant des produits de contrefaçon. Tout ceci a l’air bien entendu très prometteur et utile mais à mon humble avis, ce n’est pas demain la veille que l’humain va se retrouver complètement hors du coup.
Quels sont les principaux challenges et contraintes auxquels vous êtes confronté dans votre métier et comment les surmontez-vous ?
Mon premier challenge c’est de constamment devoir influencer. En effet, mon métier consiste principalement à échanger avec des personnes dont l’expertise première n’est pas la Propriété Intellectuelle, et certains ont même un niveau limité de compréhension de ce qu’est la PI, ses caractéristiques, ses implications et ses risques.
Je suis constamment entrain dans une certaine mesure d’éduquer mon interlocuteur dans un temps souvent limité tout en devant garder l’objectif commun en vue. J’interagis au quotidien avec trois types de stakeholders, tous avec leur propre agenda, les chercheurs qui sont préoccupés par la recherche de financements pour leurs projets, leur obligations d’enseignements et le travail sur leurs publications.
Un autre défi qui est celui de toute une carrière est la gestion des deadlines. Mon métier est rythmé par des délais et dates limites qu’il est recommandé de ne pas manquer sous risque de conséquences pouvant aller de frais supplémentaires à payer jusqu’à la perte irrévocable d’un brevet.
Je dis toujours à mon équipe en début d’année, « this year, Zero missed deadline, Zero patent lost ». Nous avons des outils à disposition, des bases de données digitales ainsi que des process que nous mettons en place pour ne jamais être pris au dépourvu. La gestion de portefeuille ne supporte que peu ou pas d’approximations voire pas d’erreurs.
En tant qu’organisation, il faut s’assurer que nous sommes propriétaires de ce que nous entendons commercialiser. Il faut aussi s’assurer que notre portefeuille protège nos innovations qui ne cessent d’évoluer au cours de leur développement et au gré des succès et échecs du projet. La solution ici, c’est toujours et encore la communication constante avec les collègues et les chercheurs. Le bras droit ne doit pas ignorer ce que le bras gauche fait.
Quelles sont vos ambitions pour votre carrière et comment pensez-vous que vous pourrez les atteindre ?
Les brevets sont d’excellents vecteurs qui codifient la connaissance humaine et qui sont librement accessibles de tous. Mon ambition est assez simple : continuer à disséminer le savoir, augmenter le niveau général de compréhension de la chose, et apporter une expertise stratégique en Propriété Intellectuelle et dans la planification PI des organisations au sein desquelles je suis amené à évoluer.
L’expression « transfert de technologie » entre états est souvent un peu galvaudée à mon avis dans les médias lorsqu’il s’agit des échanges internationaux. Durant la crise Covid, les vaccins à ARN sont restés à disposition en priorité des pays où ils ont été inventés.
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Chaque organisation doit prendre conscience qu’elle possède des atouts concurrentiels qui résident dans sa propriété intellectuelle. Il suffit pour elle d’en prendre conscience, de se l’approprier et de l’exploiter. C’est de ça qu’il s’agit
Quel regard portez-vous sur votre métier et quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent se lancer dans cette voie ?
Mon métier est passionnant et enrichissant. Mon intellect est stimulé au quotidien de manière passive. Les dossiers qui passent sous mes yeux couvrent un large spectre d’innovations scientifiques et technologiques. A la fin, avec beaucoup de chance, il peut apparaitre que le projet dans lequel on a été impliqué il y a longtemps donne lieu à un nouveau traitement d’une maladie orpheline comme la mucoviscidose ou à un vaccin covid.
Cependant, c’est un métier qui demande une grande attention du détail et une capacité d’écoute et d’analyse certaine. Par ailleurs, il faut être un amoureux de la synthèse, de la clarté et de la rigueur.
Mon conseil aux jeunes en général, « Soyez ambitieux, osez innover ». Il faut garder à l’esprit qu’une innovation doit résoudre un problème. Le meilleur moyen d’innover c’est d’essayer de trouver des solutions aux problèmes qui vous entourent et qui vous passionnent.
Vous aurez ainsi une compréhension inégalée du problème résolu (et donc de votre future client/acheteur) et l’énergie nécessaire pour mener votre innovation à bon port. Le chemin de l’innovation et de l’entrepreneuriat est semé d’embûches. FORTES FORTUNA JUVAT